
Cet article est l’éditorial du numéro 20 de Révolution communiste. Inscrivez-vous ici ou commandez votre copie papier dans notre catalogue.
Le Canada est au pied du mur.
L’économie canadienne est au bord de la récession, la productivité stagne et les investisseurs abandonnent le pays à une vitesse record. Voilà la situation dans laquelle Mark Carney a déposé son premier budget le 4 novembre.
Sans surprise, le budget regorge de toutes sortes de mesures censées « stimuler » et attirer les investissements. Cela signifie de nombreux cadeaux aux entreprises ainsi qu’une énorme baisse d’impôts pour les fabricants.
Cette baisse d’impôts pour les entreprises, appelée la « superdéduction à la productivité », est censée faire concurrence aux réductions d’impôt contenues dans le « Big Beautiful Bill » de Trump, en réduisant le taux effectif marginal d’imposition de plus de 2 points de pourcentage, de 15,6 à 13,2%.
Le budget prévoit d’augmenter les dépenses militaires de 82 milliards de dollars sur cinq ans. Cela, associé à l’embauche de 1000 agents frontaliers, est une claire concession à Donald Trump, censée l’encourager à rouvrir le marché américain aux produits canadiens.
Tout ça mis ensemble représente 141 milliards de nouvelles dépenses sur cinq ans. Le déficit pour 2025 devrait passer à 78,3 milliards de dollars, contre les 42,2 milliards prévus dans la déclaration économique de l’automne 2024.
Afin de financer cette augmentation exorbitante des dépenses publiques, Carney supprimera 40 000 emplois au sein du gouvernement fédéral. Cela représente 10% de l’ensemble des effectifs fédéraux au cours des cinq prochaines années, soit une réduction encore plus importante que celle appliquée par Stephen Harper, un conservateur, lorsqu’il était au pouvoir. Cette mesure, associée à d’autres réductions mineures, devrait permettre d’économiser 60 milliards de dollars.
Que ce budget soit adopté ou non, l’orientation du gouvernement Carney est désormais clairement établie.
La classe dirigeante insatisfaite
Ce qui est incroyable, c’est que malgré tout cela, la classe dirigeante canadienne n’était pas entièrement satisfaite à l’issue de la journée budgétaire. Le Conseil canadien des affaires (CCA) a noté que le budget comportait des « mesures positives », mais a conclu qu’il manquait « de nouvelles mesures suffisantes pour réduire les impôts ou augmenter les incitations à l’investissement dans le secteur privé ».
Cela en dit long sur la mentalité de la classe capitaliste au Canada. Il règne une certaine panique dans les conseils d’administration des entreprises du pays, qui craignent d’être balayés par leurs concurrents si des mesures extrêmes ne sont pas prises rapidement. Pour elles, les mesures favorables aux entreprises et défavorables à la classe ouvrière prises par Carney ne vont pas assez loin et ne sont pas mises en œuvre assez rapidement.
Les milieux d’affaires canadiens ne sont pas non plus satisfaits du projet du gouvernement d’enregistrer un déficit de 78 milliards de dollars cette année, soit un déficit plus important que tous ceux enregistrés par Trudeau en dehors de la pandémie. Même s’ils le disent rarement ouvertement, tout porte à croire que des coupes massives seront effectuées dans les dépenses de santé et d’éducation.
Mais Carney se trouve dans une situation difficile. D’un côté, il doit satisfaire les intérêts de ses maîtres dans les conseils d’administration. De l’autre, répondre à toutes leurs exigences risque de faire tomber son gouvernement minoritaire, voire de provoquer une explosion sociale. Le budget de novembre est un compromis difficile, qui ne satisfait donc personne.
Carney mise tout sur une reprise spectaculaire de l’économie canadienne, qui lui permettrait d’éviter des décisions difficiles comme la réduction des transferts en matière de santé. Pour que cela soit possible, le budget prévoit un afflux impressionnant de 500 milliards de dollars d’investissements privés au Canada au cours des cinq prochaines années.
Cependant, personne de sérieux ne croit réellement que cela soit possible, surtout lorsque les investissements quittent actuellement le Canada à un rythme record. C’est pourquoi le Conseil des affaires réclame davantage de réductions d’impôts et d’incitations fiscales. Celles-ci devront être financées. Ainsi, à un certain stade, il sera inévitable de mettre en place des mesures d’austérité encore plus strictes, du moins d’un point de vue capitaliste.
Il est fort possible que Carney suive les traces de l’ancien premier ministre Jean Chrétien. Le premier budget de Chrétien en 1994 évitait de procéder à des coupes draconiennes dans des domaines tels que les soins de santé, bien que cela fût exigé par Bay Street à l’époque. Cependant, en réponse à la crise du marché obligataire en 1995, ils ont fait pression sur Chrétien pour qu’il aille plus loin la fois suivante. Son budget suivant, en 1995, a entraîné les coupes les plus importantes de l’histoire moderne du Canada.
Que faut-il retenir de tout cela? Carney sera probablement contraint d’aller encore plus loin, surtout si l’on assiste à un ralentissement économique généralisé. Il devra sortir la hache, réduire les services sociaux, privatiser les sociétés d’État et s’attaquer aux syndicats, avec toutes les conséquences que cela implique en termes d’instabilité sociale et politique.
Il n’est donc pas surprenant que le budget de Carney indique que « le gouvernement étudiera également la possibilité de privatiser les aéroports ». Le budget précise également que le gouvernement prévoit « d’ajuster le cadre de règlement des conflits liés à la négociation collective », ce qui, compte tenu des violations récentes du droit de grève par les libéraux, apparaît comme une menace inquiétante pour le mouvement syndical.
Le budget de Carney représente une attaque majeure contre les travailleurs et les services, tout en distribuant des milliards aux riches. Cependant, les rumeurs qui circulent à Bay Street suggèrent que les choses ne font que commencer.