Dans cette première partie d’un triptyque sur l’histoire du mouvement LGBTQ, Tom Trottier dresse un aperçu des configurations familiales et sexuelles sous le capitalisme et analyse l’histoire de la sexualité dans les sociétés communistes primitives et en transition vers une société de classes. Il s’agit d’une traduction d’une série d’articles publiés en anglais sur le site de nos camarades américains, socialistrevolution.org, le 13 octobre 2011.


Deuxième partie>> 

Depuis la rébellion de Stonewall à New York en 1969, des progrès considérables ont été réalisés vers l’égalité des droits pour les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels et les personnes trans. Mais même aujourd’hui, tous ceux qui appartiennent à la communauté LGBTQ continuent d’être victimes de discrimination et de violence. Alors que le capitalisme est en déclin à l’échelle mondiale, les classes dirigeantes de chaque pays cherchent des boucs émissaires afin de détourner la population de la lutte pour changer ce système en décomposition et le remplacer par le socialisme et la démocratie des travailleurs. La classe dirigeante va continuer sa politique du « diviser pour mieux régner » pour briser l’unité de la classe ouvrière. L’homophobie et les tentatives de division sur des critères liés à la sexualité font partie de cette stratégie.

Comment la communauté LGBTQ peut-elle défendre les avancées du mouvement et progresser vers l’égalité et la liberté véritables? Pourquoi ce mouvement doit-il lier son combat avec celui pour le socialisme? Cette série d’articles se propose de traiter ces questions et de tirer les leçons du passé afin de changer la société pour le mieux.

Rôles de genre et sexualité sous le communisme primitif

Le mouvement LGBTQ est certes moderne, mais il plonge ses racines dans d’autres mouvements plus anciens. Néanmoins, il faut reconnaître que l’intégration de l’homosexualité chez les humains a varié selon les sociétés, sous le communisme primitif comme sous les sociétés de classes. Le « communisme primitif » fait référence au type de société dans lequel l’espèce humaine a vécu pendant la majorité de son existence, des dizaines de milliers d’années avant qu’apparaisse la société de classes. Dans ces sociétés, les gens vivaient et s’organisaient collectivement pour répondre aux besoins de la communauté en matière de nourriture, de vêtements, de logement, etc. Par exemple, les sociétés amérindiennes étaient dénuées du concept de propriété privée ou terrienne avant la colonisation européenne de l’Amérique.

La droite affirme que l’homosexualité est « contre nature ». Si l’on entend par là que l’on ne trouve pas d’homosexualité dans la nature, c’est clairement faux. Des pratiques homosexuelles s’observent chez de nombreux animaux. Néanmoins, comme le comportement sexuel et romantique des humains diffère grandement, une comparaison plus poussée ne serait pas d’une grande utilité.

La sexualité humaine est un phénomène complexe et multiforme. Ce phénomène comprend des facettes à la fois génétiques, biologiques et psychologiques, qui interagissent de façon dynamique dans un contexte social particulier. La sexualité et les comportements humains résultent de cette interaction et évoluent dans un contexte de contraintes sociales plus ou moins grandes. Il convient donc de remarquer que des différences et une diversité peuvent émerger dans cette sphère, comme dans tout autre aspect de la vie humaine.

La société peut essayer d’imposer certaines limites, comme créer des rôles de genre pour les deux sexes : mâle et femelle. La vie brouille cependant de telles distinctions, comme le montre la naissance d’enfants intersexués (que l’on appelait avant hermaphrodites; nous parlons ici des personnes nées avec des organes génitaux mâles et femelles, ou avec un appareil génital indéterminé). Ces cas représentent au moins un millième des naissances.

De nombreux aspects des rôles attribués au genre et de l’identité sexuelle sont créés par la société. À travers les siècles, les différentes sociétés ont défini les rôles de genre et les identités sexuelles différemment. Lorsque deux sociétés différentes entrent en contact, cette interaction provoque des changements dramatiques puisque la société qui cherche à dominer l’autre la transforme en conséquence.

Engels explique par exemple dans son livre L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État que les premières sociétés humaines évoluèrent vers un stade du communisme primitif dans lequel le mariage par groupe dominait et la lignée passait par la mère (matrilignage). Engels évoque également la condamnation de ces mariages par les missionnaires espagnols, qui eut une influence décisive sur les peuples colonisés.

Cependant, Engels n’a jamais mentionné (il n’en était peut-être pas conscient) le fait que les comportements homosexuels et des rôles de genre différents étaient acceptés dans beaucoup de ces sociétés. Notamment, on retrouvait chez certains peuples amérindiens le berdache, une personne née mâle, mais qui prenait un rôle différent des rôles classiques mâles et femelles qui régnaient dans les sociétés communistes primitives américaines.

Nos connaissances des comportements homosexuels dans les sociétés communistes primitives aux Amériques sont dues aux écrits des missionnaires et explorateurs espagnols et français. Ces chastes hommes d’Église célibataires jugeaient les Amérindiens coupables et répugnants. L’homosexualité était réprimée vicieusement par les Espagnols, venus en Amérique pour trois raisons : la Gloire, l’Argent et Dieu. Dans de nombreux cas, les colons espagnols firent carrément déchiqueter des homosexuels par des chiens. Rapidement, tout comportement homosexuel fut tu et dissimulé.

Engels a expliqué comment, au cours de l’évolution de la société, le mariage par groupe a cédé la place à la monogamie et à la propriété privée des moyens de production, et comment la lignée familiale commença à passer par le père plutôt que la mère, ce qui permettait à l’homme de transmettre ses biens à ses enfants. De plus en plus, la société fut divisée en familles individuelles : une femme, un homme et leurs enfants. De sérieuses sanctions s’abattaient sur la femme qui portait atteinte au « caractère sacré du mariage », car l’homme voulait s’assurer que sa propriété revienne bien à ses enfants; il avait, lui, bien évidemment droit d’aller voir ailleurs pour se distraire.

Il faudrait de nombreux livres pour expliquer comment l’homosexualité fut réprimée à travers les siècles, et dans quelles situations on lui permit d’exister. Ces articles ne peuvent le faire, mais nous allons voir comment le capitalisme américain intégra et régula la sexualité.

Le capitalisme : la superstructure

En tant que marxistes, nous prenons pour base d’analyse de la société la façon dont les gens s’organisent pour s’approvisionner en nourriture, en vêtements, pour se loger, et donner naissance à de nouvelles générations. Ceci constitue la base économique, l’infrastructure. Néanmoins, il existe d’autres institutions qui régulent et maintiennent la société, ce que les marxistes appellent la superstructure. En dernier lieu, la superstructure reflète les fondements économiques de la société; mais les mêmes fondements économiques peuvent engendrer une large variété d’institutions constituant la superstructure, fluctuant avec le temps.

Engels explique ainsi dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État :

« Selon la conception matérialiste, le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l’histoire, c’est la production et la reproduction de la vie immédiate. Mais, à son tour, cette production a une double nature. D’une part, la production de moyens d’existence, d’objets servant à la nourriture, à l’habillement, au logement, et des outils qu’ils nécessitent; d’autre part, la production des hommes mêmes, la propagation de l’espèce. Les institutions sociales sous lesquelles vivent les hommes d’une certaine époque historique et d’un certain pays sont déterminées par ces deux sortes de production : par le stade de développement où se trouvent d’une part le travail, et d’autre part la famille. Moins le travail est développé, moins est grande la masse de ses produits et, par conséquent, la richesse de la société, plus aussi l’influence prédominante des liens du sang semble dominer l’ordre social. Mais, dans le cadre de cette structure sociale basée sur les liens du sang, la productivité du travail se développe de plus en plus et, avec elle, la propriété privée et l’échange, l’inégalité des richesses, la possibilité d’utiliser la force de travail d’autrui et, du même coup, la base des oppositions de classes : autant d’éléments sociaux nouveaux qui s’efforcent, au cours des générations, d’adapter la vieille organisation sociale aux circonstances nouvelles, jusqu’à ce que l’incompatibilité de l’une et des autres amène un complet bouleversement. La vieille société basée sur les liens du sang éclate par suite de la collision des classes sociales nouvellement développées : une société nouvelle prend sa place, organisée dans l’État, dont les subdivisions ne sont plus constituées par des associations basées sur les liens du sang, mais par des groupements territoriaux, une société où le régime de la famille est complètement dominé par le régime de la propriété, où désormais se développent librement les oppositions de classes et les luttes de classes qui forment le contenu de toute l’histoire écrite, jusqu’à nos jours. »

(Préface de la première édition, 1884)

Le capitalisme, comme les autres sociétés de classes, a développé des institutions sociales qui, comme Engels l’explique, sont conditionnées par l’infrastructure économique. Les marxistes l’appellent la superstructure. La famille nucléaire elle-même en fait partie; bien qu’elle soit antérieure au capitalisme, elle en est un élément d’origine. Elle permet à la société d’élever la prochaine génération et de garantir la transmission de la propriété privée aux futures générations. L’État est un autre exemple : comme toutes les sociétés de classes, les capitalistes ont besoin d’une armée, d’une police, de tribunaux et de prisons pour protéger leurs biens des nations étrangères et de la population de leur propre pays, qui ne possède peu ou rien. Sans État, pourquoi la majorité tolérerait-elle l’oppression et l’exploitation? La classe dominante a besoin de ces institutions pour maintenir ses richesses et privilèges.

Les institutions religieuses, qui font respecter la conformité à l’idéologie dominante, fournissent bien un peu d’aide économique et sociale (de la charité) aux gens dont les vies sont détruites par le capitalisme. Mais au fond, elles défendent le statu quo sociopolitique, et ont consolidé la domination des femmes par les hommes ainsi qu’un code moral limitant la sexualité à la famille nucléaire mâle-femelle.

Bien que ces institutions doivent défendre des idées qui reflètent les besoins du système économique sous-jacent, cela ne veut pas dire que le système ne puisse pas perdurer sans une superstructure et des institutions particulières. Les vieilles religions institutionnelles (catholicisme et protestantisme conventionnel) ont ainsi perdu beaucoup d’influence dans la société capitaliste actuelle. Toutefois, lors de la naissance du capitalisme américain, la religion joua un rôle important et influença fortement l’État.