
Le 9 décembre, le comité de vérification du NPD a informé Yves Engler, un militant anti‑guerre bien connu basé à Montréal, que sa candidature à la chefferie du NPD avait été rejetée.
La décision n’a guère été une surprise. Ces derniers mois, Engler avait été la cible d’une campagne sournoise de rumeurs et de calomnies de la part d’organisateurs et responsables clés du NPD concernant ses « véritables intentions » en se présentant à la chefferie. On l’a empêché à plusieurs reprises d’assister à des événements pour les membres du NPD, en violation de ses droits en tant que membre du parti.
En réalité, les dirigeants du NPD n’ont probablement jamais eu l’intention de laisser Engler se présenter. Le but de ces actions était de créer un climat de suspicion et d’hostilité envers Engler, dans l’espoir de justifier son rejet éventuel. Leur travail accompli, le comité de vérification du NPD a décidé qu’il était enfin temps d’appuyer sur la gâchette.
Rejeté sur la base de mensonges
La lettre de rejet du NPD à l’égard d’Engler n’a pas été rendue publique. Cependant, certains extraits ont fuité dans la presse et sur les réseaux sociaux.
Le Globe and Mail rapporte qu’une des raisons du rejet d’Engler est qu’il aurait répété « la propagande de l’État russe concernant la guerre russo‑ukrainienne et l’OTAN. »
Qu’en est‑il vraiment? Engler s’est publiquement opposé à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qu’il a décrite comme « illégale ». S’adressant au Globe après avoir reçu sa lettre de rejet, Engler a ajouté qu’il « n’a aucune sympathie pour Vladimir Poutine ».
En vérité, ce que les bonzes du NPD entendent par « propagande de l’État russe », c’est l’opposition d’Engler à l’OTAN et à son rôle dans l’alimentation du conflit en Ukraine – une position qui entre en conflit avec la politique pro‑guerre et pro‑OTAN actuelle du NPD.
Selon Engler, le NPD a également évoqué le fait que nombre de ses positions « contredisent les engagements fondamentaux du NPD envers la démocratie, le droit international et la solidarité avec les peuples opprimés. »
Encore une fois, que disent les faits? Engler a publié plus d’une douzaine de livres documentant et condamnant les violations du droit international par les gouvernements américain et canadien. Le harcèlement impérialiste du Canada envers les peuples opprimés est un thème récurrent dans ses écrits. La preuve est là, noir sur blanc, pour quiconque souhaite se renseigner.
Engler a souligné avec raison que si quelqu’un a un bilan médiocre sur ces questions, c’est bien la direction actuelle et passée du NPD. Cela inclut l’appui du NPD au bombardement de la Yougoslavie en 1999 (ce qui constituait une violation flagrante du droit international), l’approbation par le NPD des actions de l’OTAN en Libye en 2011, et la faible opposition du NPD au régime israélien dans les premières phases du génocide à Gaza.
Le crime d’Engler n’est pas d’avoir manqué de « solidarité avec les peuples opprimés », mais de l’avoir fait de manière continue – même lorsque ces victimes étaient entre les mains des gouvernements américain et canadien, que le NPD officiel a parfois soutenus.
Le comité de vérification a également laissé entendre qu’Engler aurait intimidé des élus, notamment « en suivant des personnes jusqu’à leurs logements privés et à leurs véhicules personnels ». Il s’agit d’une référence à l’habitude bien connue d’Engler d’interpeller les politiciens sur leur soutien à Israël durant le génocide à Gaza.
Mais qui étaient ces élus? Pour la plupart, il s’agissait de députés libéraux (dont Mark Carney), à un moment où le Parti libéral apportait son soutien total à la campagne de bombardements d’Israël. Engler, bien que confrontant verbalement par moment, n’a jamais eu de contact physique avec ces personnes qu’il accostait – des politiciens qui étaient de toute façon protégés par un cordon de policiers et d’agents de sécurité. Tout cela peut être facilement trouvé sur ses pages de réseaux sociaux.
On peut être d’accord ou non avec les tactiques d’Engler. Mais les qualifier d’intimidations ou de harcèlements dépasse l’entendement. Cela montre plutôt que les dirigeants du NPD accordent plus d’importance au « bon » comportement politique de leurs dirigeants qu’à la défense d’une cause juste.
On peut être d’accord ou non avec les tactiques d’Engler. Cependant, l’idée que confronter des élus avec des questions dans un espace public puisse en quelque sorte être qualifiée d’intimidation ou de harcèlement dépasse l’entendement. Cela montre plutôt que les dirigeants du NPD accordent plus d’importance au décorum politique « approprié » pour ses candidats qu’à la défense d’une cause juste – même lorsque cette cause est… « la solidarité avec les peuples opprimés ».
Ce que signifie la décision du NPD
Le rejet d’Yves Engler par le NPD est important pour ce qu’il révèle au sujet du parti.
Les raisons invoquées pour son rejet incluent de nombreuses positions largement répandues dans la gauche et dans le mouvement anti‑guerre – des mouvements dont le NPD faisait autrefois partie, quoique sans trop de constance. D’autres positions d’Engler, comme son point de vue sur la guerre russo‑ukrainienne, sont partagées par une large partie de la population.
Le problème n’est pas Engler. En vérité, le problème est que le NPD ne défend plus les idées que ses dirigeants prétendaient autrefois soutenir – l’opposition à l’impérialisme canadien, pour ne nommer qu’un exemple parmi d’autres.
Au lieu de cela, la bureaucratie du NPD a décidé que faire du parti une organisation « respectable » (lire : un parti qui joue le jeu parlementaire), avec des positions « acceptables » sur les enjeux mondiaux (lire : des positions acceptables pour le patronat canadien et le département d’État américain), est la seule voie pour le NPD d’accéder au pouvoir. Engler ne correspondait pas à cette image, d’où le fait qu’il a été écarté de la course à la chefferie.
Cependant, la position du NPD n’est pas seulement en décalage avec Engler et ses partisans. Elle l’est de plus en plus avec la classe ouvrière, chez qui de nombreuses personnes cherchent un parti qui confronte le pouvoir, expose le théâtre de la politique canadienne, et propose de véritables politiques socialistes et anti‑guerre – peu importe qui cela peut bien froisser à Ottawa et Bay Street.
Le traitement réservé à Engler par le NPD indique qu’il n’a aucune intention d’être ce parti, qu’il soit dirigé par Engler ou un autre. Dans ce climat, même un dirigeant qui tenterait de virer à gauche se heurterait vraisemblablement à du sabotage au sein de son propre parti, à l’image de Jeremy Corbyn au sein du Parti travailliste en Grande-Bretagne. Que cette approche mène au pouvoir est douteux; mais le fait qu’elle détruira le NPD en tant que force viable pour la classe ouvrière est certain.
Les bonzes du NPD n’ont pas vaincu Engler – mais ils ont peut-être vaincu leur propre parti.