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Les lobbyistes canadiens de l’industrie minière et de celle du vêtement demandent au gouvernement fédéral d’empêcher l’adoption d’une nouvelle loi visant à lutter contre l’esclavage et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. Ce blocage de la part des entreprises ne constitue pas seulement un aveu de complicité, mais révèle également la nature profitable du travail forcé sous le capitalisme.

La nouvelle Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement a été adoptée en mai au Canada. En vertu de cette loi, certaines grandes entreprises qui vendent leurs marchandises au Canada seront désormais tenues de publier un rapport en ligne sur leurs « chaînes d’approvisionnement qui comportent un risque de recours au travail forcé ou au travail des enfants » et sur les mesures qu’elles ont prises « pour évaluer ce risque et le gérer ». La loi, qui entrera en vigueur en janvier prochain, comprend aussi une modification du tarif douanier canadien, qui interdit la vente de biens produits par le travail des enfants.

Déjà, les lobbyistes des entreprises minières et des compagnies de vêtements sont sortis de leur tanière pour réclamer un gel de ces nouvelles mesures. Prétextant un « manque de clarté » quant aux attentes, ils demandent une prolongation d’un an afin de ne pas recevoir de « pénalités non désirées ». Dans une menace à peine voilée, les lobbys « avertissent » également que l’interdiction de produits issus du travail des enfants pourrait entraîner des pénuries de biens essentiels importés au Canada.

« Nous ne contestons pas le principe de ce projet de loi », a déclaré Ben Chalmers, vice-président de l’Association minière du Canada, à CBC News. « Nous voulons simplement avoir le temps de faire un meilleur travail lorsque nous commencerons à produire ces rapports. » En d’autres termes, les entreprises ne sont pas opposées à l’idée en « principe », mais elles ont besoin de plus de détails sur les limites à ne pas franchir lorsqu’il s’agit du recours à l’esclavage et au travail des enfants!

Faisant écho aux préoccupations de ses collègues lobbyistes, Bob Kirke, directeur général de la Fédération canadienne du vêtement, a avancé qu’un délai serait « dans l’intérêt de tout le monde, car les règles exactes ne sont pas claires ». On pourrait penser que les « règles » sont claires, étant donné que nous parlons ici d’esclavage. Ce qui n’est pas clair, c’est en quoi reporter la mise en place des mesures contre ce crime sont dans l’intérêt de quiconque, à l’exception des entreprises profitent de l’esclavage.

La loi actuelle est relativement peu contraignante dans la mesure où elle ne fait qu’exiger des grandes entreprises qu’elles signalent les mesures qu’elles prennent, s’il y en a, pour « atténuer le risque » de travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement et ne les oblige pas à changer quoi que ce soit. Ainsi, alors que les grands médias présentent le refus des entreprises comme une préoccupation sincère et un désir de respecter la réglementation, les lobbyistes admettent en fin de compte que les entreprises ne sont pas prêtes à divulguer ce qui se passe réellement dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, ce qui pourrait provoquer un désastre sur le plan des relations publiques.

Manque de diligence raisonnable?

Depuis plus d’une décennie, les entreprises canadiennes, en particulier dans le secteur minier, sont critiquées pour de graves violations des droits de la personne dans leurs activités dans les pays en développement, notamment des salaires de misère, des assassinats ciblés de travailleurs tentant de se syndiquer, la violence sexuelle commise par des agents de sécurité privée et des expulsions armées. Bien que le rôle de ces entreprises dans ces abus soit bien documenté, seulement neuf poursuites ont été engagées au Canada depuis 1997 et, à ce jour, aucune de ces entreprises n’a été tenue responsable pour « manque de diligence raisonnable », comme l’ont souligné de nombreux groupes de défense des droits de la personne.

La triste vérité est que ces abus ne découlent pas seulement d’une négligence passive de la part des entreprises. Dans de nombreux cas, la violence peut être directement liée à des tentatives plus larges de la part des entreprises ou de leurs filiales pour terroriser leurs travailleurs et les obliger à se conformer à des conditions de travail dégradantes et dangereuses. Cela permet de baisser massivement les coûts de production, tout en générant des profits alléchants pour les capitalistes.

L’utilisation continue de l’esclavage et du travail des enfants fait également partie intégrante de ce système axé sur le profit. Les entreprises existent pour maximiser les profits pour leurs actionnaires et, au-delà des préoccupations liées à la publicité négative, les capitalistes ne se soucient pas fondamentalement de la question du travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement, encore moins chez les patrons des minières canadiennes.

Cela a été démontré en 2014, lorsque trois réfugiés d’Érythrée ont intenté une poursuite au Canada contre Nevsun Resources, une société minière dont le siège se trouve à Vancouver. Ces hommes ont été contraints de travailler contre leur gré à la mine de Bisha, dans l’ouest de l’Érythrée, par des sous-traitants locaux de Nevsun. Ils auraient été « ligotés et battus, attachés sous le soleil brûlant et laissés là pendant des heures, alors qu’ils gagnaient environ 30 dollars américains par mois ».

L’entreprise a déclaré que ces allégations étaient « non fondées » et qu’elle se « défendrait vigoureusement » contre elles. Pourtant, en 2016, en 2017 et à nouveau en 2018, elle a tenté à plusieurs reprises de faire de l’Érythrée le lieu du procès, où l’affaire aurait certainement été rejetée. Enfin, en 2020, lorsque le procès a été autorisé à se poursuivre au Canada, contre toute attente bureaucratique, Nevsun a conclu un accord extrajudiciaire avec les plaignants pour un montant non divulgué, évitant ainsi toute responsabilité dans cette atrocité.

Il ne fait aucun doute que l’incident de la mine de Bisha n’est que la pointe de l’iceberg. En 2022, l’Organisation internationale du travail estimait que, mondialement, 250 000 adultes et un million d’enfants étaient contraints de travailler dans des mines et des carrières. Étant donné que les entreprises canadiennes contrôlent plus de la moitié des activités d’exploitation et de prospection minières dans le monde, il n’est pas improbable que des dizaines (voire des centaines) de milliers de personnes soient réduites à l’esclavage dans des mines appartenant à des entreprises canadiennes dans le monde entier. Bien qu’il ne soit pas possible de faire une estimation plus précise, cela devrait donner une idée de la raison pour laquelle les lobbyistes des minières canadiennes ne veulent pas publier des informations en ligne sur leurs chaînes d’approvisionnement.

Marchandise contaminée

Si les entreprises canadiennes craignent de donner l’impression qu’elles profitent de l’esclavage et du travail des enfants, c’est parce que c’est exactement ce qu’elles font.

Selon le Rapport sur les risques liés à la chaîne d’approvisionnement publié en 2016, des biens de consommation présentant un risque élevé d’être produits par le travail forcé ou le travail des enfants ont été importés par au moins 1264 entreprises opérant au Canada, avec les deux tiers d’entre elles ayant leur siège social au pays. Un rapport suivant publié en 2023 a également montré que les importations canadiennes de ces biens à risque ont augmenté de 30% entre 2016 et 2021, pour une valeur de 48 milliards de dollars. Il convient de noter que plus de 14 milliards de dollars de ces importations à risque concernaient les vêtements et le textile.

Il n’est donc pas surprenant que les entreprises qui vendent des produits au Canada aient intérêt à ne pas faire preuve de transparence sur la manière dont ces produits sont réellement fabriqués. En fait, elles n’ont pas forcément intérêt à le savoir elles-mêmes.

« L’essentiel est que même une petite partie ou un élément d’une marchandise peut être reconnu comme ayant été fabriqué au moyen de formes interdites de travail des enfants. Cette marchandise est alors contaminée », explique Bob Kirke, lobbyiste du secteur du vêtement. Se référant à la modification du tarif douanier, il ajoute : « Ainsi [la marchandise contaminée] devrait être déclarée à la frontière, ce qui est très improbable, car pourquoi l’importer si l’on pense qu’elle a été fabriquée avec du travail d’enfants? Tu pourrais découvrir que c’est le cas! »

Bob Kirke est manifestement conscient de la prévalence du travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement, mais il n’est pas très enthousiaste à l’idée de s’attaquer à ce problème au détriment des profits. Avant de conclure que la modification du tarif douanier « va bientôt se montrer le bout du nez », il prend soin d’ajouter que sa mise en œuvre « va créer beaucoup d’incertitude et va redoubler les efforts des [entreprises] pour s’assurer qu’il n’y a pas de travail d’enfants dans leurs établissements ». Quel cauchemar!

Les appels incessants de ces lobbyistes à plus de « clarté » et de « certitude » concernant les nouveaux règlements doivent être compris pour ce qu’ils sont : la volonté d’établir quelle est la limite maximale acceptable d’esclavage et de travail des enfants.

Comment mettre fin à l’esclavage et au travail des enfants

Aujourd’hui, le nombre d’esclaves et d’enfants qui travaillent dépasse les 200 millions dans le monde. Cela représente un problème international qui ne peut pas être résolu de façon isolée par les pays. Bien que l’importation de biens produits par le travail forcé ou obligatoire soit techniquement interdite au Canada depuis 2020, à ce jour, une seule cargaison de vêtements pour femmes et enfants a été saisie à la frontière avant d’être relâchée plus tard.

Malgré leur incroyable hypocrisie, les lobbyistes ont raison sur un point : le caractère inévitable du travail forcé dans le cadre du système actuel. Les marchandises fabriquées à l’aide de cette main-d’œuvre sont présentes dans tous les secteurs du marché mondial et cela signifie que l’application d’une interdiction réelle de ces produits, dans le cadre du système actuel, entraînerait des pénuries au Canada. Comprenant cela, le gouvernement fédéral ne lancera pas de « lutte » significative contre l’esclavage dans les chaînes d’approvisionnement, si ce n’est des exigences de présentation de rapports peu contraignantes.

La seule façon de débarrasser le monde des chaînes de l’esclavage et du travail des enfants est d’organiser le renversement révolutionnaire du capitalisme à l’échelle mondiale. Tant que la production sera motivée par la recherche de profits plus importants pour les capitalistes, ces crimes continueront à trouver un terrain propice. En expropriant ces parasites, nous pouvons planifier rationnellement et démocratiquement la production et éliminer la base de cette exploitation inhumaine partout dans le monde.