Un article récent de la CBC révèle que le 330, promenade Sussex, à Ottawa – où se trouvent le Parlement, le Musée des beaux-arts du Canada et la Monnaie royale canadienne, ainsi que d’autres monuments nationaux – cache dans ses entrailles les horreurs de l’histoire canadienne. Le Centre mondial du pluralisme, une organisation gouvernementale qui mène des recherches sur la marginalisation, a publié ses conclusions sur l’architecture de son propre édifice : le mortier utilisé pour les bâtiments du Parlement et les bâtiments adjacents est composé de sable provenant d’un cimetière algonquin près de la ville de Nepean. Il y a de véritables restes humains d’Autochtones dans la structure de ces bâtiments.

Karl Marx disait dans Le Capital que le capitalisme est venu au monde « dégoulinant de sang et de saleté par tous ses pores, de la tête aux pieds ». Dans le cas du capitalisme canadien, c’est plus qu’une figure de style. Alors que les bâtiments de l’État canadien ont littéralement comme colonne vertébrale les vestiges d’un génocide, le fédéral continue de consacrer aussi peu de ressources que possible à l’amélioration des conditions de vie des Autochtones. 

Le Canada est l’un des 10 pays les plus riches du monde, totalisant plus de 6000 milliards de dollars en fortune privée et comprenant plus de 40 milliardaires. Comment cette richesse a-t-elle été créée? Aux dépens de qui a-t-elle été accumulée? Suivons la piste de l’argent et révélons la véritable histoire de ce pays que l’on présente si souvent comme « pacifique » et « modéré ».

Les historiens bourgeois prétendent souvent que l’établissement de l’État canadien a été un effort de coopération et de collaboration entre les commerçants d’origines française, britannique et autochtone, par opposition aux violentes confrontations entre les populations autochtones et les Européens qui ont eu lieu au sud de notre frontière. En vérité, la naissance du Canada en 1867 a été rendue possible par le vol continu des terres autochtones – la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) étant le principal coupable. À partir de 1670, cette société commerciale possédait le monopole sur le commerce des fourrures, ainsi que sur toutes sortes de matières premières et de denrées alimentaires. Pour charger les navires à destination des marchés européens, elle exploitait la main-d’œuvre autochtone. Elle volait également les commerçants de fourrures autochtones en utilisant l’alcool pour les maintenir en état d’ébriété pendant les périodes de pointe de la chasse et pour miner leurs relations communautaires traditionnelles. La CBH a empoché l’équivalent de 1,6 milliard de dollars d’aujourd’hui, investissant ces profits dans l’industrie anglaise – à l’instar de l’exploitation des esclaves africains dans l’industrie du coton aux États-Unis. En fait, le capitalisme en Angleterre n’aurait pas prospéré comme il l’a fait sans l’asservissement et l’exploitation brutale de ces communautés, qui souffrent encore aujourd’hui des conséquences de cette oppression.

Si la Compagnie de la Baie d’Hudson a fait des profits faramineux, les Autochtones n’ont jamais vu un sou de cette richesse. La compagnie, qui avait obtenu la souveraineté légale sur les grands territoires du nord et de l’ouest (représentant plus de huit millions de kilomètres carrés), a plus tard vendu ces territoires au nouvel État canadien. L’historien W. L. Morton a décrit ainsi cet événement : « Un des plus grands transferts de territoire et de souveraineté de l’histoire fut exécuté comme une simple transaction immobilière. » Les peuples autochtones ont-ils été consultés lors de cette transaction? Non. Ont-ils reçu une partie des 300 000 livres (1,5 million de dollars) versées par la Couronne pour ces territoires? Non plus. Mais ils ont eu le droit de se faire traiter de « troupeau de moutons » par John A. Macdonald, le 1er premier ministre du Canada. L’acte fondateur du Canada fut un vol.

Ce vol a été essentiel à la création du capitalisme canadien. Comme nous l’avons décrit dans notre document sur la lutte des Autochtones au Canada : « Avec les profits immenses du commerce des fourrures et des monopoles sur l’alcool en plus de la vente de terres volées, la Compagnie de la Baie d’Hudson a été essentielle à la formation de la bourgeoisie canadienne et du capitalisme canadien. En fait, la CBH a été le point de départ du développement d’une grande bourgeoisie au Canada dans les domaines bancaire, du rail, de la navigation et de l’exploitation du territoire. Il est donc clair que l’exploitation des peuples autochtones a joué un rôle essentiel dans le développement du capitalisme canadien, et a jeté les bases de la nouvelle bourgeoisie canadienne. »

Il faut également se rappeler que la création de l’État canadien et du chemin de fer du Canadien Pacifique n’a été possible que grâce à la dépossession et à la répression violente des peuples autochtones. En plus de réprimer un mouvement révolutionnaire démocratique de masse des Métis, Macdonald a délibérément affamé des milliers d’Autochtones pour les chasser de leurs terres. Il a ordonné aux fonctionnaires de couper les rations alimentaires des Premières nations jusqu’à ce qu’elles s’installent dans des réserves désignées par le gouvernement fédéral. Les Autochtones ont été poussés dans des réserves qu’ils ne pouvaient quitter sans la permission du gouvernement qui les affamait. Chaque fois qu’ils se plaignaient, leurs rations étaient réduites encore plus.

Une autre « grande réalisation » de Macdonald est l’introduction de la Loi sur les Indiens. Le capitalisme canadien était entré dans une nouvelle phase : avec la disparition des animaux à fourrure, le commerce de la fourrure connaissait un déclin. Après s’être emparée des territoires et avoir développé les chemins de fer, la classe capitaliste devait porter son attention sur l’aménagement des terres et la promotion de la production agricole capitaliste. Tout ce qu’il lui restait à faire, c’était de placer un grand bassin de main-d’œuvre bon marché sous ce régime foncier. La Loi sur les Indiens a conféré à l’État canadien une autorité illimitée sur tous les aspects de la vie des peuples autochtones, notamment en les relocalisant de force dans les réserves, en remplaçant les formes traditionnelles de gouvernance autochtone et en les dépouillant de leur culture en interdisant leurs vêtements traditionnels, leur langue maternelle et toute forme de spiritualité traditionnelle. La Loi a également introduit le système des pensionnats, qui séparait les enfants autochtones de leur famille, de leur mode de vie traditionnel et encourageait leur assimilation dans la société bourgeoise. Les preuves recueillies au cours des deux dernières années ont révélé l’existence autour de ces écoles de plus de 6000 tombes non marquées d’enfants autochtones. Ces enfants ont subi des violences horribles et sont morts aux mains de l’Église et de l’État. Tout cela a été fait dans l’intérêt du développement du capitalisme canadien.

Les découvertes concernant la construction du 330, promenade Sussex à Ottawa sont un rappel macabre de ce que nous savons déjà, à savoir que le Canada s’est construit sur la mort et l’exploitation des peuples autochtones. Cette structure a commencé à montrer des signes de faiblesse et de décadence. Dans les dernières années, la réaction publique à la découverte de fosses communes dans les anciens pensionnats a montré que la classe ouvrière canadienne ne prend plus à la légère l’oppression des Autochtones. Le mouvement qui a suivi ces révélations, qui consistait à faire tomber les statues des figures fondatrices du Canada, a montré ce à quoi nous pouvons nous attendre à l’avenir, alors que le capitalisme canadien continue de décliner et que son histoire est mise à nu. 

Trudeau peut essayer de donner une nouvelle couche de peinture au Canada avec ses larmes de crocodile et ses promesses vides de réconciliation, mais cela ne fait pas disparaître le mortier qui maintient le Canada ensemble. Il ne trompe plus personne. Sa récente tentative d’« autochtoniser » la fonction de gouverneure générale, un vestige colonial représentant cette même monarchie responsable du génocide des peuples autochtones, ne peut effacer l’histoire. Un système construit sur les ossements de peuples exploités devra être démoli et enterré pour de bon. Il doit être remplacé par une nouvelle société socialiste, libérée de l’oppression et de l’exploitation et, au contraire, pleine de vie.