
L’été dernier, le Parlement a adopté à la hâte une loi modifiant celles régissant le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), permettant ainsi à l’agence d’espionnage de partager des informations sensibles avec de grandes entreprises. Cette mesure a été justifiée par l’argument selon lequel elle contribuerait à prévenir les menaces pesant sur les « infrastructures essentielles » (comprendre : les pipelines). Le projet de loi a également créé de nouvelles infractions pénales liées au « sabotage » desdites infrastructures (comprendre : les manifestations contre les pipelines).
C’était sans précédent : historiquement, le SCRS partageait rarement ses renseignements avec d’autres gouvernements, et encore moins avec des entreprises privées.
Alors, qu’est-ce qui a motivé un changement aussi considérable? Il s’avère que si une entreprise souhaite que les services de renseignement de l’État lui transmettent des informations, il lui suffit de le demander gentiment.
Des documents récemment obtenus par The Narwhal montrent que la proposition émanait de TC Energy, une importante compagnie de pipeline, qui avait directement approché David Vigneault, alors directeur du SCRS, en février 2024. Selon certaines sources, Vigneault aurait accueilli favorablement cette proposition, promettant à un dirigeant de TC qu’il « ferait avancer nos intérêts communs ». Plus tard, il a encouragé TC Energy et le Conseil canadien des affaires à présenter le projet au Parlement. Moins de six mois après la proposition initiale, la loi a été adoptée.
Pas étonnant que l’actuel président du Conseil des affaires qualifie Vigneault de « cher ami ».
Les écologistes ont dénoncé cette révélation. Étant donné que le SCRS a déjà espionné ces groupes par le passé, leur inquiétude est justifiée.
Par exemple, Keith Stewart, stratège principal en matière d’énergie chez Greenpeace Canada, a déclaré : « Les services secrets canadiens devraient protéger la population, et non conclure des accords avec les grandes compagnies pétrolières. Ce partage de renseignements brouille la frontière entre la sécurité publique et les intérêts des entreprises et risque de soumettre les défenseurs des terres autochtones et les militants pour le climat à une surveillance de plus en plus invasive pour s’être opposés pacifiquement à l’expansion des énergies fossiles. »
Mais Stewart se trompe. Il n’y a pas de « ligne floue » ici; cette ligne n’existe pas et n’a jamais existé. Les communications récemment dévoilées montrent que les dirigeants des agences de renseignement canadiennes reconnaissent que leurs intérêts et ceux des entreprises canadiennes sont les mêmes. Et il n’y a aucun « risque » que des militants soient pris pour cible : c’est justement le but recherché. Et les forces de l’État n’existent certainement pas pour « protéger les gens ».
Lénine définissait l’État comme « un corps d’hommes armés en défense de la propriété privée » – et ici, nous voyons des agents du SCRS défendre les entreprises d’extraction de ressources. En temps normal, la classe dirigeante peut dissimuler la nature de l’État, mais en fin de compte, celui-ci n’est qu’un outil d’oppression des exploités par les exploiteurs – un fait dont TC Energy est clairement consciente.