Plus de 140 révolutionnaires se sont rassemblés à Toronto en cette longue fin de semaine pour le 18e Congrès annuel de Fightback/La Riposte socialiste, les supporters de la Tendance marxiste internationale au Canada et au Québec. 50 ans après Mai 68 en France, des travailleurs et des jeunes de Toronto, Edmonton, Montréal, London, Waterloo et Oshawa ont discuté des possibilités d’une nouvelle révolution.

 

Le nombre record de participants, qui était de 110 en 2017, marque une nouvelle avancée pour les forces du marxisme au Canada et au Québec. La croissance rapide de l’organisation au cours de la dernière période s’est reflétée dans le fait que, lorsqu’on a demandé qui avait rejoint le mouvement au cours des deux dernières années, plus de la moitié de l’assistance a levé la main.

Dans une salle de l’Université de Toronto bien remplie, le congrès s’est ouvert le samedi par une discussion sur les perspectives mondiales introduite par Fred Weston, rédacteur du site Web In Defence of Marxism. Chaque session s’est déroulée en français et en anglais grâce à la traduction consécutive. Fred a commencé par souligner que le capitalisme est en crise depuis maintenant dix ans et que l’économie mondiale demeure grandement instable. Déjà, certaines parties de la classe dirigeante posent la question : « quand aura lieu la prochaine crise? »

Les mesures d’austérité profondément impopulaires, les bas taux d’intérêt et le crédit bon marché que la classe dirigeante a utilisés pour augmenter la consommation et éluder la crise n’ont fait que préparer le terrain pour un futur désastre économique encore plus grand.

Mais ce qui inquiète la classe dirigeante, c’est que de plus en plus de travailleurs commencent à exprimer leur colère devant cette situation. Avec la polarisation et la radicalisation qui augmentent, les capitalistes peinent à faire élire leurs représentants « responsables ». De la défaite du Parti démocrate en Italie au rejet de la coalition SPD/CDU en Allemagne, en passant par la baisse des appuis au Parti démocrate américain, les partis du centre mou et du statu quo se font rejeter ou sérieusement remettre en question.

Les gens ordinaires ne se bousculent pas pour voter pour des partis qui vont couper dans leurs salaires et aggraver leurs conditions de vie « responsablement ». Mais, le capitalisme ne peut plus offrir des réformes aux travailleurs comme lors du boom d’après-guerre. Tout gouvernement qui accepte la logique du capitalisme, qu’il soit conservateur, libéral, social-démocrate ou même « socialiste », est contraint d’attaquer la classe ouvrière qui, de plus en plus, se mobilise pour leur résister.

Dans sa présentation, Fred a notamment souligné les grèves des cheminots en France qui ont donné lieu à une « convergence des luttes » entre les jeunes et les travailleurs combatifs. Au début de l’année, les occupations d’universités ont d’abord attiré surtout de jeunes travailleurs, puis la police qui est venue leur donner une sévère correction. Cela n’a fait qu’intensifier le mouvement qui s’exprime maintenant à travers la grève des cheminots. Celle-ci a mené à des efforts de solidarité de la part des jeunes que l’État peine à étouffer. Des explosions comme celle que nous voyons en France représentent un avant-goût de ce qui s’en vient dans le reste de l’Europe et ailleurs.

Fred a également abordé la crise du capitalisme en Amérique latine où la vague révolutionnaire des années 1990 et 2000 semble entrer dans une période de déclin. Ce que nous avons vu dans ces pays, particulièrement au Venezuela, confirme que l’on ne peut se contenter de faire une demi-révolution. Une couche grandissante de travailleurs et de jeunes est très en colère de voir des gouvernements de gauche comme celui de Maduro s’efforcer de faire des concessions aux oligarques et aux propriétaires fonciers. La période qui s’ouvre offre l’occasion pour les révolutionnaires socialistes authentiques d’intervenir et d’expliquer la nécessité de l’expropriation des oligarques et de se doter d’un véritable programme socialiste.

Une attention particulière a été portée à la crise du capitalisme au Pakistan où, grâce à un grand effort de solidarité internationale, les camarades de la TMI qui avaient été capturés par des forces paramilitaires reconnues pour les « disparitions » qu’elles provoquent ont été libérés. Il est clair que les camarades ont été ciblés par l’État à cause du rôle important qu’ils ont joué dans le mouvement pachtoune en cours dans le pays. Leur appel à l’unité des opprimés contre le capitalisme est une menace pour un État qui utilise les divisions religieuses et ethniques pour amener les opprimés à lutter les uns contre les autres plutôt qu’ensemble contre la classe dirigeante.

Fred a conclu en disant que « toutes ces situations ont un point commun, qui est le poids de la crise du capitalisme. Dans tous les pays, à un degré ou à un autre, la vie des travailleurs ordinaires se détériore. » Il a ajouté que « nous voyons partout une tendance aux changements majeurs sur le front politique. » Ce ne sont pas tous les pays qui suivent le même rythme, mais tous vont dans la même direction et, comme l’a dit Fred, « ce qu’on voit en Grèce est une indication de ce que nous allons voir ici. »

 

 

Suite à la discussion sur les perspectives mondiales, Alex Grant, rédacteur pour Fightback a donné la présentation sur les perspectives canadiennes. Alex a commencé par souligner qu’il n’y a pas eu de mouvement de masse au Canada anglais depuis un bon moment. Tandis que le Québec a eu la grève étudiante de 2012 et la grève du secteur public en 2015, au Canada anglais, les derniers mouvements majeurs remontent aux « Days of Action » (« Journées d’action ») de 1997 en Ontario et au mouvement anti-Campbell en Colombie-Britannique en 2001-2005.

Alex a poursuivi en demandant « est-ce qu’il n’y a pas de mouvement parce que les travailleurs canadiens sont satisfaits du statu quo? » Bien que la productivité du travail ait connu une hausse de près de 60 % depuis la fin des années 70, les salaires moyens ont stagné. Cette stagnation des salaires a été accompagnée d’un gonflement du salaire des PDG et d’un immense transfert de richesses des pauvres vers les riches. Les gens sont sans aucun doute mécontents du statu quo et souhaitent le changer. Cela s’exprime par des sondages qui ont montré qu’une majorité de Canadiens sont en faveur de l’éducation gratuite, de garderies accessibles, du salaire minimum à 15 $ l’heure et pensent que les riches devraient payer davantage pour financer les programmes sociaux. Mais, malgré un désir répandu de riposter, illustré par de nombreux votes de grève dépassant les 80, 90 et même 95 % d’approbation, la bureaucratie syndicale a passé la dernière période à se déchirer et à déchirer le mouvement.

La crise au sommet des syndicats provient de l’incapacité des dirigeants à obtenir des gains pour les travailleurs de la base. Les accords salariaux négociés depuis 2008 ont à peine suivi l’inflation. Les gens ne rejoignent pas un syndicat pour reculer. À l’heure actuelle, plutôt que de faire campagne pour syndiquer les non-syndiqués, beaucoup de dirigeants syndicaux passent leur temps à faire du maraudage et à lutter pour s’arroger les cotisations syndicales des membres actuels des syndicats, ce qui constitue une honte pour le mouvement. Cependant, les travailleurs sont de plus en plus en colère quant au fait que les retombées de la croissance économique ne profitent qu’à ceux qui se trouvent au sommet. Si l’économie s’améliore, alors il y a une possibilité pour des grèves économiques offensives dans lesquelles les travailleurs tenteront de reprendre ce qu’ils ont perdu dans la période récente. L’appareil syndical ne peut pas garder éternellement son emprise sur le mouvement. Comme l’a dit Alex, « aucune bureaucratie n’est plus forte que les lois de l’histoire, et aucune bureaucratie n’est plus forte que la classe ouvrière. »

Alex a également expliqué en détail l’état précaire de l’économie canadienne qui comporte de nombreuses faiblesses sous-jacentes. Les conditions qui permettaient au Canada de demeurer stable lors de la récession de 2008 se sont transformées en leur contraire. Les dettes élevées des ménages, les bas prix du pétrole et la bulle immobilière mettent le Canada dans une position précaire advenant une nouvelle récession mondiale. Les jeunes n’ont pas de souvenir d’un capitalisme qui offre des réformes significatives et une nouvelle récession pourrait avoir pour effet de radicaliser une large couche de la population.

La présentation a été suivie d’une discussion riche que nous avons dû étirer jusqu’au dimanche matin puisque de nombreux participants souhaitaient contribuer. Les camarades sont intervenus sur le conflit entre l’Alberta et la Colombie-Britannique concernant l’oléoduc Trans Mountain, la lutte contre l’oppression, les mouvements chez les jeunes et le rôle terrible de l’impérialisme canadien. Un accent particulier a été mis sur les élections qui approchent en Ontario et au Québec et sur les dangers que pose la possibilité d’une victoire de Doug Ford ou de la CAQ.

Dans sa conclusion, Alex a souligné que bien que la situation politique soit calme en surface au Canada et au Québec, des luttes de masse s’en viennent et qu’en tant que marxistes, nous devons comprendre l’urgence de construire nos forces.

Le dimanche, Jessica Cassell, membre de la rédaction de Fightback, a donné la présentation sur l’état des forces du marxisme au Canada et sur les prochaines étapes proposées. « Tous les camarades ressentent l’excitation qui découle de la période dans laquelle on se trouve. Nous pulvérisons tous nos objectifs et le vent tourne en notre faveur », a-t-elle affirmé.

La situation au Canada se caractérise par le fait qu’une couche de gens, en particulier les jeunes, se tourne vers les idées révolutionnaires. La TMI a grossi, car elle combine une bonne tradition organisationnelle aux idées éprouvées du marxisme. D’autres ont simplement capitulé devant chaque nouvelle mode du milieu universitaire bourgeois, ce qui les a menés dans un cul-de-sac organisationnel et idéologique. Le fait de ne pas abandonner les idées et les méthodes marxistes a permis à La Riposte socialiste de gagner certaines des couches les plus dévouées de jeunes et de travailleurs nouvellement politisés.

Cette persistance a également permis à La Riposte socialiste et à Fightback de se procurer un nouveau bureau à Montréal, ce qui fait de nous la seule organisation marxiste sérieuse ayant une base solide tant au Québec qu’au Canada anglais.

Lors de la discussion, les camarades sont intervenus au sujet des différentes aires de travail. Certains ont expliqué que bien que nous avons réussi à bâtir sur les campus, La Riposte socialiste se veut une organisation ouvrière et non une organisation étudiante. Le lancement de La Riposte syndicale, un nouveau collectif de travailleurs syndiqués et non syndiqués, a suscité beaucoup d’enthousiasme. Il a été indiqué que La Riposte socialiste compte plus de 100 militants ouvriers unis sous la bannière du syndicalisme de lutte de classe, de la démocratie ouvrière et du socialisme. La Riposte socialiste s’oppose implacablement à l’élitisme étudiant et vise à tourner ses camarades étudiants vers les luttes ouvrières.

Jessica a conclu en expliquant qu’« une organisation de masse peut s’effondrer si elle est construite sur de mauvaises bases et sur des idées incorrectes, mais une petite organisation peut rapidement prendre de l’ampleur si elle repose sur des bases solides. »

Ensuite, la session portant sur les finances et la presse a été entamée par Donovan Ritch. Il a parlé de l’importance de l’indépendance financière afin de maintenir notre indépendance politique vis-à-vis des bureaucraties syndicales et étudiantes. Sous le capitalisme, aucune organisation sérieuse ne peut survivre sans ressources financières. Nous nous inscrivons dans la tradition des bolcheviks de Lénine qui finançaient leur organisation avec de nombreux petits dons amassés grâce aux « kopeks des travailleurs ».

Certains camarades ont noté que nous avons été attaqués récemment par des universitaires petits-bourgeois, car nous vendons notre journal. Ces gens attaquent notre presse non parce que notre méthode ne fonctionne pas, mais parce qu’elle fonctionne trop bien. Les travailleurs et les jeunes nouvellement politisés sont ravis de faire un don pour avoir accès à des idées qui expliquent la crise du capitalisme. Ces dons couvrent les coûts de production et aident à construire le mouvement. Quiconque ne vit pas avec les fonds de ses parents comprend cette réalité. Ce à quoi ces intellectuels « radicaux » s’opposent vraiment est la construction d’une organisation révolutionnaire, tandis que les travailleurs comprennent que sans organisation, la classe ouvrière n’est que de la matière brute facile à exploiter, et qu’aucune organisation ne peut exister sans finances. En se fondant sur cet appel politique, La Riposte socialiste a réussi à lever les fonds lui permettant de devenir une force sérieuse.

Les camarades présents au Congrès étaient enthousiastes à l’idée de construire l’organisation révolutionnaire permettant aux travailleurs de renverser le capitalisme. Il a été dit que « le fait d’être attaqué par l’ennemi n’est pas une mauvaise chose, mais une bonne chose ». Les méthodes marxistes sont attaquées, car elles représentent une menace grandissante. En réponse à ces attaques, nous avons eu une collecte financière historique où nous avons dépassé notre objectif de 30 000 $. C’est là une indication claire du désir grandissant de construire une organisation marxiste révolutionnaire qui ne se laissera pas distraire dans sa lutte.

Le lundi, le Congrès s’est poursuivi au United Steelworkers Hall où nous avons tenu une discussion vaste et vive portant sur nos différences avec les idées de l’intersectionnalité et des politiques identitaires qui ont infiltré le mouvement, la présentation d’introduction étant encore une fois l’œuvre de camarade Jessica.

Jessica a expliqué comment ces idées trouvent leur origine dans la tour d’ivoire du milieu universitaire et sont le résultat des précédents reflux de la lutte des classes et du pessimisme quant à la perspective d’une révolution. Elle a pris soin de réaffirmer la nécessité des méthodes de lutte de classe pour lutter contre toutes les oppressions que le capitalisme alimente. L’intersectionnalité et les politiques identitaires se concentrent sur les changements dans la pensée individuelle et du langage plutôt que sur le changement des conditions sociales et économiques qui engendrent les attitudes discriminatoires dont la classe dominante capitaliste fait activement la promotion afin de nous maintenir divisés. L’unité de classe est vitale pour gagner la lutte contre toutes les oppressions et pour renverser le système capitaliste qui les perpétue. L’union dans la lutte joue un grand rôle pour couper court aux différentes attitudes discriminatoires que les capitalistes utilisent pour diviser la classe ouvrière, puisque les gens en viennent à comprendre leur intérêt commun à travers cette lutte collective.

Dans sa conclusion, Jessica a expliqué qu’« au bout du compte, la cause fondamentale de toute oppression est la pénurie. C’est ce qui nous monte les uns contre les autres. Mais la pénurie est entièrement artificielle sous le capitalisme et existe seulement parce qu’une toute petite classe parasitaire contrôle l’économie. La classe ouvrière a besoin des idées qui vont l’aider à s’unir et à lutter contre la classe dirigeante, et non pas de celles qui l’encouragent à se tourner vers l’intérieur en alimentant les luttes intestines. »

Enfin, le Congrès s’est conclu avec un rapport sur la croissance de la Tendance marxiste internationale au cours de la dernière année donné par notre conférencier invité, Fred Weston.

Fred a parlé de la croissance de notre travail en Argentine, au Brésil, en Bolivie, au Honduras, au Venezuela, au Nigeria, au Salvador, au Maroc, au Liberia, en France, en Allemagne, en Grèce, en Indonésie, aux États-Unis, au Pakistan et ailleurs. Il a notamment parlé du travail de nos camarades italiens lors des dernières élections en mars où nous nous sommes présentés sur une liste indépendante. Lors de la campagne, l’un de nos militants italiens a parlé de la nécessité d’exproprier les milliardaires à la télé, devant un auditoire de plus de 600 000 personnes sur l’une des principales chaînes de nouvelles du pays. La campagne a joué un rôle important pour augmenter la visibilité de l’organisation, pavant ainsi la voie à la croissance des forces du marxisme en Italie.

Fred a conclu en donnant un rapport détaillé de la campagne de solidarité internationale que nous avons lancée pour la libération de nos camarades pakistanais kidnappés. Il a expliqué comment la campagne a joué un rôle clé pour forcer les paramilitaires à libérer les camarades. Il a exprimé sa fierté devant le fait que nos forces internationales ont permis de sauver la vie de ces révolutionnaires pakistanais et a spécifiquement remercié Mike Palecek, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, ainsi qu’Amir Khadir, député de Québec solidaire, dont les messages ont eu un gros impact au Pakistan.

Les camarades ont conclu le Congrès avec le chant de l’Internationale en anglais et en français ainsi qu’avec Bandiera Rossa, le chant révolutionnaire italien.

Les participants en ressortent excités devant les immenses possibilités qui s’offrent à nous de bâtir le mouvement marxiste. Tandis qu’une grande partie de la gauche au pays est profondément pessimiste, la TMI enchaîne les avancées majeures. La soif d’idées au Congrès est illustrée par le fait que nous avons vendu un nombre record de livres pour un montant total de plus de 5000 $! La Riposte socialiste/Fightback est déjà l’organisation révolutionnaire la plus large et la plus organisée au pays. La validité de nos méthodes a été démontrée. Et il y a encore beaucoup de possibilités de croissance. Pour la première fois depuis des générations, nous avons l’occasion de construire une organisation marxiste pancanadienne qui peut unir les meilleurs éléments révolutionnaires d’un océan à l’autre. Nous vous invitons à nous rejoindre dans cette lutte!