Les reportages sur la maladie de la  » vache folle « , dans la presse écrite, à la radio et à la télévision, évoquent sans cesse la « psychose » qui se serait subitement emparée des consommateurs, et dont il faut les émanciper au plus vite. Or il ne s’agit en fait nullement d’une réaction irrationnelle. La méfiance des consommateurs est au contraire tout à fait légitime.

Cette scandaleuse affaire montre que les profits générés par l’industrie agroalimentaire ont pris le pas sur les considérations sanitaires. Les capitalistes qui dominent l’industrie ont opéré dans le secret, cachant sciemment les risques qu’ils faisaient courir aux destinataires de leurs produits. Les pouvoirs publics, plus prostitués que jamais aux intérêts privés, ont choisi de fermer leurs yeux, afin de ne pas de gêner le « marché ».

L’existence d’un « prion » mortel dans les farines animales est la conséquence directe de la recherche, par les capitalistes, de bénéfices toujours plus importants. Le prion n’est ni un virus, ni une bactérie. C’est une protéine qui détruit des cellules nerveuses et qui résiste à de fortes températures, à la radiation et à la plupart des désinfectants. Dans les années 80, les fabricants de farines animales ont développé une technique de production permettant de moins chauffer les farines, ce qui d’un côté réduit les coûts de production et de l’autre permet à plus de protéines de survivre à la chauffe. Dans chaque kilo de farines animales, la teneur en protéines était augmentée en conséquence. C’est cette nouvelle technique qui est à l’origine de la contamination des farines par le prion responsable de l’ESB. Pour les éleveurs, toujours dans la logique du profit maximum, chaque bête doit prendre du poids le plus rapidement possible et donner les meilleurs rendements possibles en lait et en viande. Moins longue est la vie de l’animal avant l’abattage, plus il est rentable.

En 1988, alors que les autorités d’outre-manche avaient déjà recensé 450 cas de bêtes atteintes de la maladie, le gouvernement britannique, de plus en plus convaincu que des farines animales étaient responsables de l’épidémie, a officiellement alerté le gouvernement français, qui a décidé ne pas en tenir compte. Henri Nallet, le Ministre de l’agriculture de l’époque, prétend qu’en 1990 il n’avait toujours aucune idée d’une quelconque dangerosité des farines animales, et ce alors qu’à cette date les farines animales étaient depuis un an interdites en Grande-Bretagne. L’interdiction avait fait baisser le prix des farines. L’immense quantité de ces produits, stockés en Grande-Bretagne, a été écoulée en Europe, et notamment en France. En 1990, la France a interdit l’importation du bœuf britannique, sous prétexte qu’il était porteur d’ESB, mais continuait allègrement d’importer les farines animales de la même provenance, en dépit du fait que les spécialistes britanniques avaient déjà établi le rapport entre les farines et la maladie.

La commission européenne, ne voulant rien faire qui puisse nuire à la rentabilité de la filière bovine européenne, a fait pression pour la levée de l’embargo contre le bœuf britannique, qui n’a duré qu’une semaine. Dans un compte rendu des conclusions de la commission en la matière, il est même écrit qu’il « vaut mieux dire que la presse a exagéré » que d’accréditer l’idée d’un risque sanitaire. Par la suite, de nombreuses interventions tendaient à faire oublier le problème. En France, c’est comme si aucun doute ne subsistait sur la possibilité d’une transmission de l’animal aux hommes. Le Directeur des Services Vétérinaires, était formel : « Nous savons que le risque de contamination [d’humains] est nul » a-t-il déclaré. En même temps, en France, le gouvernement, les propriétaires de la filière bovine et la FNSEA n’avaient rien contre une exploitation de la méfiance vis-à-vis du bœuf britannique pour augmenter les ventes de viande française. C’est donc à cette époque qu’apparaissaient les étiquettes permettant d’identifier, sur les emballages, les viandes d’origine française. Ces étiquettes étaient supposées rassurer les consommateurs inquiétés par l’épidémie de la vache folle. Et pourtant les éleveurs français étaient précisément en train de nourrir leurs bêtes avec les farines animales importées de Grande-Bretagne, où elles étaient déjà interdites.

Jusqu’à présent, 86 cas d’ESB ont été recensés en Grande-Bretagne, un cas en Irlande et trois cas en France. Les personnes frappées par cette maladie meurent à petit feu dans une souffrance terrible. Dominique Gillot, Ministre de la Santé, n’envisage que « quelques dizaines de cas ». De nombreux experts en prévoient beaucoup plus. En attendant, les familles déjà frappées qui ont, à juste titre, porté plainte pour « empoisonnement », ont dénoncé l’indifférence des pouvoirs publics à leur égard. Alors que le gouvernement s’apprête à donner encore des milliards en subventions à l’industrie agroalimentaire, les victimes et leur famille n’ont pas droit à la même considération. Plus de quatre mois après le décès d’une victime d’ESB, sa famille attend encore les résultats de l’autopsie.

En 1996, un nouvel embargo a été imposé à l’encontre des importations de bœuf britannique. Mais la même année, une Commission d’Enquête européenne a produit un rapport accablant sur le détournement de la législation et des contrôles sanitaires. Le rapport faisait aussi état de l’existence de réseaux de transport et de vente de viandes suspectes. En France, les dossiers judiciaires concernant les ventes frauduleuses et le blanchiment de l’argent qu’elles rapportent sont bloqués depuis plus de quatre ans. S’agit-il d’un simple « retard administratif » ? On peut en douter, quand on sait par exemple qu’un grand trafiquant de viande, de nationalité belge, recherché par la police et prétendument « introuvable » depuis des années, a pu être localisé – sans difficulté et très rapidement, puisque chez lui ! – par des journalistes travaillant pour l’émission Zone Interdite. Les journalistes ont même pu le filmer à table dans un restaurant non loin de son domicile. Visiblement, on ne se presse pas, dans cette affaire, d’aller au fond des responsabilités.

Il a fallu attendre le mois de novembre 2000 pour que l’interdiction des farines animales soit décrétée en France, soit quatre ans plus tard qu’en Grande-Bretagne et neuf ans après le premier cas de « vache folle » en France. En attendant, ces substances dangereuses ont souvent été stockées dans des conditions complètement inappropriées, au mépris de la santé publique. Il s’en trouve par exemple dans des hangars non scellés qui, par mauvais temps, laissent échapper des quantités importantes de leur charge nocive, laquelle s’infiltre alors dans les terrains et les cours d’eau environnants.

L’exigence d’une alimentation saine et de qualité passe par une législation plus rigoureuse et par la mise en place de moyens de contrôle plus importants. Depuis 1994, les douaniers préviennent les gouvernements successifs qu’ils sont trop peu nombreux pour effectuer les contrôles nécessaires, et doivent le plus souvent s’en remettre à la « bonne foi des fabricants ».

La « vache folle » n’est sûrement pas la seule ni la dernière menace à peser sur la santé des consommateurs. Les OGM suscitent également bien des interrogations. Au-delà des lois et des contrôles indispensables, force est de reconnaître que, dans le cadre du capitalisme, l’industrie agroalimentaire comporte en permanence des risques d’abus et de dérapages du type de ceux qui sont à l’origine de l’ESB. Pour que la société dans son ensemble puisse réellement imposer la transparence et la sécurité sanitaire nécessaires ; pour lutter efficacement contre ces abus, la nationalisation des grands agglomérats de l’industrie agroalimentaire ainsi que des groupes de distribution les plus importants, paraît indispensable. Il ne s’agirait pas de remettre en question la propriété privée des exploitations agricoles de taille modeste. Au contraire, d’ailleurs, puisque l’existence de celles-ci, ou ce qu’il en reste, est avant tout menacée par les grands groupes privés du secteur.