Vague de censure : pas juste Trump!

Sous prétexte de défendre la démocratie, les gouvernements occidentaux multiplient la censure, que ce soit sous Trump aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne ou au Canada. Cette répression croissante exprime non pas la force, mais la faiblesse d’une classe dirigeante en crise, incapable de convaincre et contrainte de bâillonner la contestation.

  • Simon Berger
  • ven. 26 sept. 2025
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Saisissant le prétexte du meurtre de l’idéologue réactionnaire Charlie Kirk, l’administration Trump s’attaque à la liberté d’expression aux États-Unis.  Des individus ont perdu leur emploi pour avoir critiqué Kirk, le tout sous les applaudissements du président. L’administration a également fait pression pour suspendre le célèbre talk-show de Jimmy Kimmel après que celui-ci ait suggéré que le tueur de Kirk ait pu être un MAGA. Et le 22 septembre, Trump a officiellement déclaré la soi-disant « organisation » Antifa comme une entité terroriste.  

Ces exemples crasses de censure ont provoqué une vague de panique au Canada. Le chroniqueur Yves Boisvert a écrit, dans une chronique intitulée « L’agonie démocratique américaine » : « Quand tous les pouvoirs sont entre les mains d’un seul homme, ce n’est plus une démocratie. » 

Le professeur Jason Stanley, de l’Université de Toronto, a déclaré en entrevue :

« Le gouvernement des États-Unis est à mi-chemin, ou approche d’être à mi-chemin, d’un État à parti unique, une dictature. […] Et nous, au Canada, nous ne devons pas en parler de façon neutre. Nous ne devons pas le minimiser. Nous ne devons pas normaliser cela. » 

Pourtant, force est de constater que ces attaques ne sont pas uniques aux États-Unis. Partout dans les soi-disant démocraties occidentales, on voit de plus en plus de limites imposées à la liberté d’expression, incluant ici, au Canada. 

Censurer comme un « centriste »

Prenons un pays occidental que tous les journalistes, chroniqueurs et politologues conventionnels reconnaissent comme « démocratique » : l’Allemagne. Dans la dernière année, son gouvernement a officiellement désigné toute critique d’Israël comme antisémite. Il a même banni l’utilisation de l’arabe lors de manifestations pro-palestiniennes. De plus, dans une approche qui rappelle fortement l’histoire de Mahmoud Khalil aux États-Unis, l’Allemagne tente de déporter au moins quatre ressortissants étrangers pour avoir participé à des manifestations en soutien à la Palestine. Récemment, Charlotte Kates, une avocate canadienne pro-palestinienne a été détenue à Athènes et déportée, après que l’Allemagne l’ait banni de l’espace Schengen en août.

Qui est cet ennemi de la liberté d’expression à la tête de l’Allemagne? Serait-ce le mouvement MAGA, ou sa version allemande, l’AfD? Non, c’est Friedrich Merz, le chef des conservateurs allemands, en coalition avec le SPD, le parti « de gauche » traditionnel en Allemagne. 

Ce n’est pas que dans la « démocratie » allemande où l’on voit des attaques contre la liberté d’expression. En Angleterre, où le Labour Party est au pouvoir, le groupe Palestine Action a été déclaré comme terroriste, alors que ses crimes se résument à lancer de la peinture sur des avions de chasse et à perturber des usines d’armement afin de combattre le génocide. Depuis, des centaines de gens ordinaires ont été arrêtés pour le crime d’avoir brandi une pancarte où l’on pouvait lire « I support Palestine Action » (« je soutiens Palestine Action »).

Au Canada aussi

Alors que les chroniqueurs canadiens poussent des cris d’orfraie contre la dictature chez notre voisin du Sud, la censure se multiplie au Canada également.

Il a récemment été annoncé que le groupe de rap irlandais Kneecap, qui est connu pour ses prises de position en faveur des opprimés et en particulier de la Palestine, s’est vu interdire l’entrée au Canada, alors qu’il devait y donner des concerts en octobre. Ils sont accusés d’antisémitisme pour avoir critiqué Israël et ses politiques génocidaires.

De plus, le 11 septembre dernier, la ministre Mélanie Joly a affirmé travailler urgemment à dissoudre le groupe Samidoun, un important groupe pro-palestinien de la C.-B. qui est désigné par le Canada comme une entité terroriste. Leur seul « crime » est d’avoir brûlé des drapeaux canadiens et de défendre le droit au peuple palestinien de résister – un droit reconnu par l’ONU.

Il ne s’agit pas d’incidents isolés. En effet, le gouvernement Carney mène actuellement une offensive coordonnée contre la liberté d’expression. Son projet de loi C-9 élargirait sensiblement la définition de « discours haineux ». Par exemple, selon cette loi, toute manifestation devant une école, un centre culturel ou un lieu de culte serait automatiquement un acte haineux. Il est facile de voir le problème avec une telle loi quand on se rappelle que des promoteurs immobiliers israéliens organisent fréquemment dans des synagogues des soirées de vente de terres volées en Cisjordanie. Les contre-manifestations contre cette pratique coloniale et scandaleuse seraient probablement considérées comme « haineuse » par la loi C-9.

Les gouvernements municipaux et provinciaux se mettent aussi de la partie. En mai dernier, la ville de Toronto a instauré un règlement similaire à C-9. Le résultat est que presque n’importe quelle manifestation dans le centre-ville a le potentiel d’être déclarée illégale, si une « institution communautaire » à proximité en fait la demande. Récemment, le premier ministre du Québec François Legault a signalé qu’il envisageait une mesure similaire, considérant même comme un « lieu sensible »… les bureaux de comté! Il est difficile de trouver une pratique plus contraire à la liberté d’expression que d’interdire les manifestations devant les bureaux des gens censés nous représenter! 

Tous coupables

Nous n’assistons pas à l’émergence soudaine d’une dictature aux États-Unis, sous l’influence d’un seul homme, mais à un recul généralisé des droits démocratiques en Occident. Trump y apporte une coloration particulière : avec ses tendances mégalomaniaques, il censure tous ceux qui critiquent directement sa personne et son mouvement, incluant les démocrates les plus mous. Mais Carney, Starmer, Merz et autres politiciens « respectables » n’accordent pas beaucoup plus d’importance à la liberté d’expression.

Cette vague répressive est en fait l’expression de la profonde crise de légitimité des institutions de la classe dirigeante. Pour toute une période historique, la classe capitaliste a pu acheter la paix sociale à l’aide de petites réformes et de mesures symboliques. Or, cela n’est plus possible. La crise du capitalisme mondial signifie que les gouvernements capitalistes doivent venir en aide aux riches et assurer leurs profits, pendant qu’ils laissent la condition des masses se dégrader. Ils arrivent donc de moins en moins à acheter le consentement des masses et ont recours à la coercition.

C’est ce qui arrive avec la Palestine. Soutenir Israël est une question vitale pour l’impérialisme occidental, mais les capitalistes et leurs laquais au pouvoir ont clairement perdu le débat sur cette question. Ils tentent donc de faire taire les gens. 

Ce sera la même chose avec n’importe quelle autre question clé pour les intérêts des patrons. Nous verrons de plus en plus de censure dans nos « démocraties » à mesure où la crise du système s’enlisera, que l’exploitation s’intensifiera, et que la contestation sociale augmentera.

Cette répression n’est cependant pas une manifestation de force, mais de faiblesse. Nos maîtres ont peur de la montée de la lutte de classes et de ce qu’elle annonce à l’horizon.

Le mouvement ouvrier doit défendre bec et ongles nos droits démocratiques, puisqu’ils nous permettent de nous organiser contre notre exploitation. Cette lutte continuera tant que nous menacerons ceux qui nous gouvernent. Elle ne finira pour de bon que lorsque nous les renverserons.