Vincent Marissal : l’infiltré entré par la grande porte

Le départ de Vincent Marissal de Québec solidaire révèle l’échec d’une direction qui a voulu recentrer le parti et étouffer ses traditions anticapitalistes, le transformant en pâle copie du PQ incapable d’inspirer les travailleurs et les jeunes. Seule une orientation ouvertement socialiste et combative peut offrir une issue à la crise actuelle et reconnecter avec la colère qui monte dans la société.
  • Julien Arseneau
  • jeu. 27 nov. 2025
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Photo : André Querry / Flickr

Pour son départ fracassant de Québec solidaire et son désir évident de rejoindre le Parti québécois, Vincent Marissal est maintenant vu comme un traître et un opportuniste, surtout dans les cercles de QS. 

Il n’y aucun doute qu’il l’est. Mais il ne s’agit pas ici de l’affaire d’un individu isolé. C’est plutôt une autre révélation au grand jour de la conspiration qui avait lieu au sein de QS depuis des années, alors que la direction du parti tentait de modérer le parti et détruire ses traditions anticapitalistes.

Conflit

Il y a chez QS depuis le tout début une contradiction fondamentale, comme nous l’avons expliqué de nombreuses fois. Le parti a été fondé en 2006 en rupture avec les partis de l’establishment, en tant que parti anticapitaliste. Cependant, il est constamment soumis à la pression de la classe dirigeante – une pression de se modérer, ne pas trop « brasser la cage », et d’abandonner ses critiques du capitalisme et des autres partis, surtout du PQ.

C’est cette contradiction qui explique la crise actuelle et les plus récentes – tant le départ d’Émilise Lessard-Therrien en 2024, qui se plaignait du régime modéré de GND, que ceux de GND et Christine Labrie cette année, qui se sont tous deux plaints à leur manière que le parti ne voulait pas être plus « raisonnable ».

GND, en particulier, a tout fait pour transformer QS en parti social-démocrate modéré et accepté par l’establishment. Mais c’est Marissal qui a clairement laissé le chat sortir du sac cette semaine. Dans une entrevue à Tout un matin ce lundi, il affirmait : 

« …le livre de Catherine Dorion dénotait une militance… qui brasse tout le temps, qui en a à découdre constamment avec ce qu’ils appellent l’establishment. Il y a beaucoup de gens dans ce parti qui ne sont pas passés à l’étape suivante en 2018 quand on a formé enfin un vrai groupe parlementaire. »

Et lors de son passage à Tout le monde en parle dimanche dernier, il a déclaré : 

« …un peu comme Gabriel Nadeau-Dubois souhaitait le faire d’ailleurs, et puis on a fait équipe à un certain moment là-dessus. Le mot “recentrage” est un peu tabou à QS, mais pour que tout le monde se comprenne ici, je n’entrerai pas dans le jargon, c’est une question de recentrage, de rationalité, de pas être trop champ gauche. »

Tout est dit!

Les dirigeants de QS accusent Marissal d’opportunisme. Mais ce sont eux tous qui ont travaillé avec GND pour amener au parti ces tenants du « recentrage », qui n’avaient rien à voir avec les traditions de QS, et tenté d’enterrer les traditions anticapitalistes du parti.

Maintenant que QS est dans le caniveau et que leur projet a échoué, il n’est pas surprenant que les rats quittent le navire.

Pendant des années, toutes les autres tendances dans QS (à l’exception des militants autour de La Riposte socialiste, l’ancêtre du PCR) niaient qu’il y avait un recentrage ou gardaient le silence sur la direction que prenait GND. Maintenant, Marissal vient d’expliquer plus ouvertement que quiconque ce qui se passait vraiment.

La « base militante »

Vincent Marissal blâme la « base militante » qui « paralyse QS ».

Quelle base militante? La vie interne du parti n’a probablement jamais été aussi à plat qu’en ce moment, et nombreux sont les militants qui ont quitté en silence au fil des ans. 

D’ailleurs, les meilleurs résultats du parti (autour de 2018) sont précisément quand cette « base militante » était la plus active et motivée, et quand QS détonnait le plus du reste de l’establishment. La campagne de cette année-là tournait autour de revendications audacieuses comme la gratuité scolaire, les soins dentaires gratuits, la réduction de moitié du coût du transport en commun, etc. Également, Catherine Dorion était la députée la plus populaire du parti quand elle se moquait du décorum parlementaire, avant de se faire tasser par la clique de GND.

Mais depuis lors, cette clique a transformé QS en une pâle copie du PQ, et en est arrivée au pire des deux mondes. Le parti n’est pas assez souverainiste pour les uns, et pas assez anti-establishment pour les autres. 

QS a perdu toute pertinence, et ce n’est aucunement de la faute de la mystérieuse « base militante ». Les gens au sommet du parti n’ont qu’eux-mêmes à blâmer pour leur champ de ruines.

Est-ce « pragmatique » d’être modéré?

Le cas de Vincent Marissal est le pire exemple de cette tentative de transformer QS. Ce député beige comme un divan beige véhicule tous les préjugés de la politique mainstream : QS est incapable de faire des « compromis », il ne faut pas être trop dans la « confrontation », il faut être « pragmatique ».

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour Marissal est elle aussi révélatrice : le fait que QS n’ait pas aidé les autres partis à briser les grèves à la STM! Il avale tout rond l’argument selon lequel les syndiqués prenaient en otage le pauvre monde. 

À part pour l’indépendance du Québec, un membre du Parti libéral aurait été d’accord avec tout ce qu’il a dit cette semaine.

Cependant, il y a un point important soulevé par la controverse autour de Marissal : est-ce vraiment en se modérant que QS pourrait sortir de son trou?

Non, pas du tout. 

Un exemple récent pointe dans la direction inverse : le maire de New York, Zohran Mamdani. Avec son « socialisme démocratique » assumé et ses revendications comme les garderies universelles, les autobus gratuits, un gel des loyers et le salaire minimum à 30 dollars, il a attiré la haine des médias, des capitalistes new-yorkais, des républicains et des leaders de son propre parti, les démocrates. 

Mais contre cette cabale, il a mobilisé autour de ces revendications audacieuses plus de 100 000 personnes qui sont en colère contre le capitalisme, et a gagné. 

Les réformistes à la tête de QS sont quant à eux incapables de comprendre et de faire écho à la colère qui gronde dans la société. Ils semblent incapables de voir qu’un discours anti-establishment assumé, une dénonciation sans détour du capitalisme, et des revendications audacieuses qui ne respectent pas ce qui est supposément « possible » sous le système actuel permettraient au parti de trouver un écho.

Sans boussole

GND a bel et bien réussi à faire de QS un parti qui n’inspire personne, à peine plus à gauche que le PQ. 

Mais les dirigeants actuels du parti n’ont aucune réponse à la crise non plus. Par exemple, tout ce que le porte-parole Sol Zanetti a trouvé à dire est que Marissal a le droit de changer d’opinion, mais qu’il aurait dû le faire de façon « éthique »!

Personne ne débat sur le fond avec Marissal. Car sur le fond, le fait est qu’il n’y a pas un énorme écart entre Marissal et les leaders du parti. Ils ont tous participé à faire de QS un parti pas si différent du PQ.

En ce moment, la seule stratégie visible de Sol et Ruba Ghazal est d’accuser le PQ de ne pas être « inclusif ». Quoiqu’en disent Marissal et les vedettes du Journal de Montréal, ça n’a absolument rien de radical. 

Mais ce qui est vrai, c’est que ce discours ne parle à personne, et donne juste l’impression que QS est un parti de moralisateurs libéraux. Il n’y a rien là pour connecter avec l’angoisse et la misère qui grandit chez les jeunes et les travailleurs. 

Le départ de Marissal expose le fait que QS est un navire sans gouvernail qui, en essayant de plaire à tout le monde au fil des ans, a pratiquement réussi à déplaire à tout le monde. 

Socialisme

La crise du capitalisme continue d’empirer. Des pertes d’emplois planent suite aux tarifs de Trump. Le coût de la vie augmente, les salaires réels stagnent. La CAQ mène une offensive contre les syndicats et implante l’austérité. La CAQ, le PQ et les libéraux s’entendent tous pour que les syndicats n’aillent pas « trop loin » dans leur lutte. Peu importe lequel d’entre eux gagnera les prochaines élections, l’austérité et le déclin des conditions de vie continueront.

Mais face à cette situation, jamais la « gauche » n’a été aussi faible. Au fond, c’est une faiblesse idéologique. La raison pour laquelle QS est en crise est le fait qu’il n’a pas de colonne idéologique.

En réaction au départ de Marissal, l’ancien porte-parole du parti, Amir Khadir, affirmait que QS avait raison de ne pas accepter les contraintes du système. Il dit même que le parti devrait défendre le socialisme!

Cela pointe vaguement dans la bonne direction. Mais on est tenté de répondre : où étiez-vous, Amir, pendant que GND menait sa contre-révolution tranquille? Pourquoi n’avoir rien dit?

Il y a quelque temps, un politicien bien connu disait la chose suivante : 

« Il fut un temps au Québec au Canada, il n’y a pas si longtemps de ça, qu’une minorité comme ça qui contrôle les institutions politiques et économiques d’un pays, qui partage des intérêts communs, il n’y a pas si longtemps on appelait ça une classe, et il faut arrêter d’avoir peur des mots. Il faut nommer ces gens-là par leur nom; ces gens-là c’est la classe dominante, ces gens-là c’est la bourgeoisie. La lutte […] doit être nommée par son nom. Il s’agit d’une lutte de classes. »

Ces paroles sont de Gabriel Nadeau-Dubois, en 2011, alors qu’il était leader étudiant. Il avait raison!

Un parti qui n’a pas peur des mots et qui veut mener la lutte de classe, qui lutte pour porter les travailleurs au pouvoir au lieu de laisser une minorité de riches contrôler la société, qui lutte pour une société socialiste, c’est ce que nous bâtissons avec toute notre énergie au PCR.