La pandémie fait rage et pousse le système de santé public déjà mal en point au bord du gouffre. Pendant ce temps, les capitalistes en profitent pour s’enrichir à ses dépens. Il est plus que temps d’exproprier les parasites du système de santé privé.

Le système de santé craque

Si le pic de la deuxième vague semble être passé, le réseau public demeure sous tension extrême. Au moment d’écrire ces lignes, on compte 1426 hospitalisations pour la COVID au Québec, dont 212 aux soins intensifs.

La situation dans les hôpitaux est telle que les médecins craignent de devoir appliquer le Protocole de priorisation des patients, un euphémisme qui signifie de devoir laisser mourir certains patients. Un médecin travaillant dans un hôpital montréalais, le Dr Stanley Vollant, a même affirmé : « Le scénario catastrophe de choisir des patients, je le vis déjà aujourd’hui. Hier, j’ai décidé de laisser mourir quelqu’un de 92 ans parce qu’il n’y avait plus de place aux soins intensifs. »

Et cette situation critique survient dans un contexte où les travailleurs de la santé sont déjà épuisés après 10 mois de pandémie (voire depuis plus longtemps). La détresse psychologique du personnel de santé a été souligné tragiquement par le suicide d’une médecin de Granby récemment.

Pour soulager le système de santé, les autorités de santé publique ont dû procéder au délestage d’opérations. On envoie certains patients se faire opérer ailleurs et on reporte des opérations. Il y a déjà un retard de 140 000 chirurgies. Plusieurs types d’interventions chirurgicales semi-urgentes et non urgentes sont reportées, comme le dépistage du cancer du côlon, les greffes de reins de donneurs vivants (sauf pédiatrie) et les consultations en cliniques externes spécialisées.

Selon la sous-ministre adjointe au ministère de la Santé : « Les impacts sont énormes et se feront sentir encore pendant plusieurs mois, voire des années, en raison des retards qui s’accumulent dans les listes d’attente. […] Malheureusement, certains patients risquent d’en subir les conséquences. »

Par exemple, un rapport du ministère de la Santé estime que 4119 cancers n’auraient pas été diagnostiqués sur des Québécois de mars à juillet, en raison du délestage. Si cela n’entraîne pas de morts immédiates, les conséquences à long terme sont graves. « On vit sur notre carte de crédit présentement, les dettes s’accumulent et ça va nous coûter cher comme société », affirme le Dr Martin A. Champagne, président de l’Association des médecins hématologues et oncologues du Québec.

La situation est grave et le vaccin contre la COVID ne descendra pas du ciel de sitôt pour nous sauver. Seulement 2,35% de la population a reçu la première dose du vaccin. En plus, le fabricant Pfizer a annoncé qu’il allait ralentir la distribution, ce qui a forcé Québec à réduire ses objectifs de vaccination.

Et pendant que le réseau public déborde, des entrepreneurs en profitent pour s’en mettre plein les poches.

Les vautours planent

C’est par exemple le cas d’Olive, « le Netflix de la santé », qui a été lancée pendant la pandémie avec beaucoup de succès, non sans l’aide d’un article complaisant du Journal de Montréal. Un abonnement de 15 dollars par mois donne droit à « des téléconsultations illimitées, des ordonnances, des certificats médicaux et l’accès à la centrale d’urgence ».

Ce n’est pas la seule entreprise de « télémédecine » à avoir bénéficié de la pandémie. Dialogue, la plus grosse entreprise de télémédecine au Canada, disait desservir 300 000 patients canadiens travaillant pour 600 entreprises en janvier 2020. En juillet, elle en était à 5 millions de patients canadiens et 25 000 employeurs.

Également, il était récemment révélé que des établissements de santé publique avaient dû confier des chirurgies et louer des blocs opératoires à des cliniques privées. Les hôpitaux avaient déjà commencé à confier des opérations à des cliniques privées depuis 2016, mais la COVID-19 a accéléré ce qui n’était qu’un projet-pilote auparavant.

La clinique Chirurgie DIX30 fait partie de celles qui ont su tirer parti de la pandémie. Radio-Canada rapporte : « Les locaux de Chirurgie DIX30 sont en pleine ébullition ces jours-ci. La construction et l’aménagement de deux nouvelles salles d’opération sont en voie d’être achevés. Des salles qui serviront au réseau public. […] L’entreprise a décroché récemment un contrat de 22,5 millions de dollars avec le CISSS de la Montérégie-Centre pour la prestation de services d’intervention chirurgicale. »

« Ce contrat conclu avec Chirurgie DIX30 inc. nous permettra d’augmenter la rapidité de traitement et ainsi pallier [le] retard des activités chirurgicales causées principalement par la COVID-19 et, par conséquent, diminuer le risque de mettre en danger la vie de nos patients [sic] », affirme le CISSS dans un document mis en ligne.

Pour donner une idée de l’ampleur de l’accélération, les hôpitaux avaient confié pour 44 millions de dollars d’opérations à des cliniques privées entre le lancement du projet-pilote en mai 2016 et janvier 2019. Avec la pandémie, des contrats ont été conclus pour un montant dépassant 82 millions de dollars de fonds publics.

Medhi Hammou, le PDG d’Agence emploi étudiant

La pénurie d’infirmières et de préposées aux bénéficiaires déclenchée par la pandémie a aussi représenté une occasion en or pour les capitalistes opportunistes des agences de placement.

Par exemple, l’entreprise Agence emploi étudiant a commencé à opérer dans le domaine de la santé avec la pandémie. En septembre, elle faisait déjà affaire avec une trentaine d’établissements, y compris publics, qui lui versaient des millions de dollars, pour environ 700 travailleurs de la santé en placement.

La Presse explique comment ce genre d’agence a profité de la crise pour s’enrichir sur le dos du réseau public : « Contrairement à celles qui ont participé à un appel d’offres des mois ou des années auparavant, ces agences ont négocié leurs tarifs en pleine crise, alors que la pénurie était criante. » 

Et soulignons que ces agences font très probablement partie des principaux responsables des éclosions dans les CHSLD au printemps, ayant fait balader leurs employés d’un établissement de soin à l’autre.

Un phénomène déjà présent

En réalité, c’est précisément parce que le système de santé public déborde que le privé prospère. Un coup d’œil sur l’histoire révèle que l’ouverture au privé a toujours représenté l’autre versant de la détérioration du système public.

Les travailleurs ont gagné un système de santé public au prix de chaudes luttes dans les années 60 et 70. Mais rapidement, les gouvernements capitalistes, libéraux comme péquistes, ont commencé à essayer de retirer les concessions obtenues par les travailleurs. Non seulement la couverture publique coûte cher à l’État, mais les soins de santé représentent un énorme marché potentiel. À coup de désinvestissements, de coupes de postes, de fermetures de lits et d’hôpitaux et de réductions de la couverture d’assurance, les gouvernements ont ouvert la porte au privé.

Ce phénomène s’est fortement accéléré dans les 20 dernières années. Les données le révèlent clairement. Le nombre de médecins au Québec n’exerçant pas dans le réseau public est passé de 50 au début des années 2000 à plus de 800 en 2019. Il y a plus de 500 cliniques privées au Québec, alors qu’il n’y en avait qu’une poignée au début du millénaire.

La (contre-)réforme du ministre Barrette en 2015 a donné un gros coup dans ce sens. Voici ce que nous expliquions à l’époque : « Ainsi, la classe dirigeante prépare la privatisation […]. D’abord, les coupes dans le personnel, la surcharge de travail imposée aux employés […] constituent un sabotage volontaire du système. […] L’incorporation des médecins, la fin de la couverture publique de certains soins et la légalisation de la couverture privée, […] le transfert de patients vers les [cliniques médicales associées], tout cela vise à tranquillement pousser la médecine hors du système public et éventuellement adoucir le passage au privé. Il ne restera bientôt plus aux grandes entreprises qu’à se pencher pour ramasser le système comme un fruit pourri. » 

Cette tendance s’est poursuivie depuis et a créé les conditions permettant à des entrepreneurs peu scrupuleux de prospérer en pleine pandémie.

Par exemple, le gouvernement encourage activement les agences de placement de personnel, en imposant de terribles conditions de travail aux infirmières employées par le réseau public. Les horaires de travail invivables poussent les infirmières à quitter le réseau en masse et à travailler pour des agences qui leur offrent plus de flexibilité… et qui les renvoient ensuite vers le réseau public, après avoir pris leur part aux frais des contribuables.

Sortons le privé de la santé!

Québec solidaire révélait récemment que des cliniques privées continuent d’offrir des chirurgies plastiques, par exemple l’augmentation des fesses et la liposuccion. Le parti appelait donc à réquisitionner les cliniques privées. Manon Massé « invite M. Legault à mobiliser tous les renforts du privé avant que nos hôpitaux craquent. »

Effectivement, « Pourquoi est-il encore possible de se refaire les fesses à la brésilienne au privé, mais certains cancers ne sont même plus diagnostiqués et plusieurs traitements remis au public? » comme dit Manon Massé. Québec solidaire avait aussi appelé à nationaliser les CHSLD privés en septembre, quelques mois après nous

Il n’y a aucun doute que le privé devrait être réquisitionné pour combattre la pandémie. Il aurait fallu dès le début de la pandémie exproprier toutes les cliniques, résidences et laboratoires privés pour les mettre à contribution pour combattre la pandémie. Il aurait fallu réinvestir massivement dans la santé, après des années de coupes.

La proposition de QS représente donc un pas dans la bonne direction. Mais elle soulève aussi la question : pourquoi accepterait-on même l’existence d’un réseau privé? Les capitalistes dans le réseau privé vont toujours tenter de gruger davantage le réseau public, quitte à saboter celui-ci pour y arriver. C’est sans compter qu’à chaque crise économique, les gouvernements rognent dans les dépenses publiques et imposent l’austérité, ce qui affaiblit encore davantage le réseau de santé public. Réquisitionner le privé est absolument nécessaire, mais le système de santé public demeure en piètre état à cause de l’austérité libérale et péquiste.

De façon plus fondamentale, le système de santé public ne sera jamais en sécurité sous le capitalisme. Il s’agit d’un énorme marché potentiel pour les capitalistes. Tant que nous vivrons dans une société où règne la recherche du profit, les capitalistes chercheront toujours à mettre la main dessus – et les crises économiques récurrentes, et l’austérité qui les accompagne, constitueront toujours l’occasion parfaite de refiler la santé au privé. Comme l’a amplement démontré la pandémie, les profits passent avant la santé pour la classe patronale qui domine notre société. Il est grand temps de lui ôter le pouvoir économique des mains.