Défendons les travailleurs de la santé contre les foules anti-vaccination!

Les manifestants anti-vaccination sont malheureusement devenus un élément courant de la pandémie, mais ils ont touché le fond au début du mois de septembre en ciblant des hôpitaux et en harcelant le personnel soignant partout au Canada. 

  • Christina Kupchenko-Frolick et M.A. Olanick
  • mer. 22 sept. 2021
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Crédit : Michael Swann/Flickr

Les manifestants anti-vaccination sont malheureusement devenus un élément courant de la pandémie, mais ils ont touché le fond au début du mois de septembre en ciblant des hôpitaux et en harcelant le personnel soignant partout au Canada. 

Les manifestations ont suivi les annonces du premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan, et du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, sur la mise en place de passeports vaccinaux dans leurs provinces respectives. 

La plus grande manifestation a eu lieu à l’hôpital général de Vancouver, où 5000 personnes se sont rassemblées. À Victoria, des manifestants ont injurié des travailleurs de la santé et, dans un cas, les ont agressés physiquement, alors qu’ils se rendaient au travail. À Kelowna, des infirmières en ont été amenées aux larmes. On rapporte également que les manifestations ont perturbé l’accès aux hôpitaux et ralenti les ambulances.

Les manifestations ont davantage démoralisé les travailleurs de la santé déjà mis à rude épreuve par la pandémie. 

« Ça te fait remettre en question ta profession et te fait demander si tu devrais continuer », a déclaré une infirmière de Cornwall, en Ontario. 

À Vancouver, un ambulancier ayant 33 ans d’expérience a été poussé au bord de la démission par les manifestations. « J’ai vu quelqu’un commencer à saigner à mort alors que ce n’était pas nécessaire, alors que le temps aurait fait toute la différence du monde. Ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. »

Un médecin en soins palliatifs de Toronto a déclaré : « Je pense que les gens deviennent vraiment agressifs sur la question des vaccins et j’ai peur. J’ai peur pour ma famille. »

Les foules en colère ajoutent un stress supplémentaire alors que les conditions sont déjà infernales pour les travailleurs de la santé. Salués comme des héros au début de la pandémie, ces travailleurs sont aujourd’hui traités comme de simples bêtes de somme, effectuant en moyenne 10 heures de temps supplémentaire par semaine et supportant une charge de travail jusqu’à trois fois supérieure à la normale. Les infirmières sont dans un état d’épuisement constant, ce qui entraîne de graves pénuries de personnel.

« Nous sommes probablement à un moment charnière, alors ces manifestations ne sont pas vraiment les bienvenues », a déclaré Alan Drummond, président de l’Association canadienne des médecins d’urgence. « C’est tout simplement décourageant et démoralisant, franchement, de voir ces manifestations. »

Les organisatrices des manifestations sont, de façon assez surprenante, deux infirmières de l’Ontario. Ces théoriciennes du complot croient que la pandémie est une « fraude ». Kristen Nagle, infirmière en soins intensifs néonatals de London, et Sarah Choujounian, infirmière auxiliaire autorisée de Toronto, sont les fondatrices de Canadian Frontline Nurses (CFN), qui descend de l’organisation américaine Global Frontline Nurses (GFN). Des membres de GFN, dont Nagle et Choujounian, ont participé aux rassemblements du 6 janvier 2021 à Washington qui ont précédé l’émeute du Capitole. Il s’agit d’une organisation de droite qui exploite la frustration et la confusion de certaines couches de la société.

Le caractère hystérique de ces couches est illustré entre autre par la manifestation à Vancouver, où la foule majoritairement blanche portait des pancartes comparant les politiques de vaccination à l’esclavage, à l’apartheid et à l’Holocauste. 

Nagle et Choujounian sont impliquées depuis longtemps dans les manifestations contre les mesures de santé publique liées à la pandémie, et ont toutes deux été congédiées pour cette raison. Elles font également l’objet d’une enquête de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario pour leurs activités, notamment leur voyage aux États-Unis pour un événement du GFN alors que des directives de santé publique étaient en place interdisant tout voyage non essentiel. Cela n’a pas empêché les infirmières de poursuivre leurs activités, puisqu’elles ont organisé une autre série de manifestations à travers le pays le lundi 14 septembre.  

Des politiciens et associations nationales et provinciales de médecins ont dénoncé les manifestations visant les hôpitaux, mais il faut bien plus que des déclarations pour protéger les travailleurs de la santé directement attaqués. 

Les gouvernements sont incapables de prendre soin des travailleurs. Ils ont créé ce problème. Des décennies d’austérité ont fait en sorte que le système de santé canadien se trouvait déjà dans une situation précaire avant la pandémie de COVID-19. 

En Alberta, par exemple, les hôpitaux étaient déjà réduits à peau de chagrin, le manque de personnel et la pénurie de lits d’hôpitaux étant si graves que les infirmières ne pouvaient croire qu’il restait quelque chose à couper. Peu après son arrivée au pouvoir, le premier ministre Jason Kenney a adopté le projet de loi 9, permettant à son gouvernement de reporter unilatéralement l’arbitrage salarial auprès des travailleurs du secteur public. 

En Ontario, le système de santé a subi de graves coupes sous le gouvernement de Mike Harris dans les années 1990, et les gouvernements libéraux successifs n’ont rien fait pour remédier à la situations. L’une des premières choses que Doug Ford ait faites lorsqu’il a été élu a été de réduire d’un milliard de dollars le budget du Bureau de santé publique de Toronto. Il a ensuite adopté le projet de loi 124, qui impose un plafond salarial à tous les travailleurs du secteur public, y compris les travailleurs de la santé, en limitant les augmentations salariales annuelles à un pour cent. Cela équivaut à une baisse de salaire annuelle, car elle est inférieure au taux d’inflation de 3%. Pendant que l’inflation augmente, les salaires stagnent. C’est ce qui a préparé le terrain pour la crise abjecte à laquelle les soins de santé sont confrontés aujourd’hui, et qui a créé les conditions horribles dans lesquelles se trouvent actuellement les travailleurs de la santé. 

Même avec une pandémie qui perdure, les gouvernements n’ont pas cessé leurs attaques contre les travailleurs de la santé. En octobre dernier, Kenney a  éliminé 11 000 postes de travailleurs de la santé en Alberta par des privatisations. Puis, en juillet de cette année, le gouvernement est allé jusqu’à proposer une réduction de salaire de 3% pour les infirmières! Bien que cette proposition ait été retirée depuis, les infirmières albertaines sont toujours confrontées à trois années d’augmentations salariales inférieures à l’inflation. Pendant ce temps, en Ontario, le gouvernement Ford a adopté les projets de loi 195 et 197 en juillet 2020, qui respectivement suspendent les conventions collectives des travailleurs de la santé pendant deux ans et affaiblissent les mesures de santé et de sécurité au travail. Le budget ontarien de 2021 n’alloue que la moitié des fonds nécessaires aux soins de santé. 

Ces conditions ont poussé les travailleurs du secteur de la santé à prendre des mesures telles que des débrayages sauvages et des grèves. Ce qui est dévastateur, c’est que beaucoup d’infirmières quittent tout simplement leur emploi en raison de leur épuisement. En août, les deux tiers des infirmières d’urgence d’un hôpital de Kamloops ont débrayé, la plupart d’entre elles décidant de réduire leurs heures de travail ou de démissionner tout simplement. Cela n’a rien de surprenant, étant donné que les gouvernements traitent les infirmières et les autres travailleurs de la santé comme s’ils étaient jetables. Si ces gouvernements se souciaient du bien-être des infirmières, la première chose qu’ils feraient serait de les payer davantage. 

En outre, la réponse bâclée et contradictoire du gouvernement à la pandémie a créé un environnement propice à l’épanouissement des théoriciens du complot. Des pénuries d’équipement de protection individuelle au déploiement bâclé de la campagne de vaccination, en passant par les confinements et réouvertures successifs qui disent au public qu’il est sécuritaire de se rassembler à l’école et au travail, mais pas en privé, les politiques des gouvernements ont alimenté la méfiance et la frustration à la base du mouvement réactionnaire anti-vaccins. 

Au lieu de se tourner vers la même classe dirigeante qui les attaque depuis des années, les travailleurs doivent compter sur leurs propres forces et sur les méthodes de lutte de classe pour se protéger. Cela soulève la question : où sont les syndicats dans tout cela? Lorsque leurs membres sont directement menacés physiquement, pourquoi n’y a-t-il pas d’effort organisé pour les défendre? Il ne s’agit pas seulement de défendre les travailleurs de la santé eux-mêmes, mais aussi d’assurer des conditions de travail propices à fournir les soins de santé dont dépendent tous les travailleurs. 

Au fédéral, les chefs de partis pendant la campagne ont promis une loi pour réprimer les manifestations anti-vaccins à l’extérieur des hôpitaux. Toute la discussion sur la façon de réagir à ces foules est dominée par des propositions visant à les criminaliser. Le fait que les syndicats soient absents de la discussion est honteux et témoigne d’un manque de leadership.

Au Québec, le même genre de manifestations anti-vaccination ont eu lieu autour des hôpitaux, mais aussi d’écoles. Le premier ministre François Legault prévoit d’adopter une loi spéciale pour les interdire. Malheureusement, Québec solidaire s’est rangé derrière le gouvernement caquiste et appuie la loi.

C’est une erreur fondamentale de compter sur l’État pour protéger les travailleurs. Comme mentionné plus haut, on ne peut pas faire confiance à l’État pour avoir à cœur les intérêts des travailleurs. En outre, cela place les travailleurs en état de dépendance des mêmes forces policières qui sont utilisées contre eux lorsqu’ils font grève. En ce qui concerne la mise en place de zones d’exclusion autour des hôpitaux, il convient de noter que l’Alberta l’a déjà fait en pratique : le Critical Infrastructure Defence Act pénalise toute personne qui bloque, endommage ou pénètre sans raison dans une « infrastructure essentielle ». Le projet de loi a été présenté en 2020 après un blocage ferroviaire en solidarité avec les défenseurs des terres Wet’suwet’en. Il n’a pas encore été utilisé pour défendre les hôpitaux contre les anti-vaccins.   

En ne comptant que sur ses propres forces et ses propres organisations pour se défendre contre les mouvements d’extrême droite comme les anti-vaccins, la classe ouvrière pourrait renforcer la solidarité et la détermination de ses membres, et démontrer que c’est elle, et non l’extrême droite, qui représente la majorité dans la société. Le mouvement anti-vaccins est terriblement impopulaire et met en colère la plupart des travailleurs. Avec un peu d’initiative, les syndicats pourraient mobiliser des milliers de leurs membres dans le secteur de la santé, des milliers d’autres dans l’ensemble du mouvement ouvrier, et encore plus chez les travailleurs non syndiqués. 

L’opinion publique étant majoritairement du côté des travailleurs de la santé, une telle démonstration de solidarité pourrait se transformer en un mouvement de masse qui ne se contenterait pas de repousser les foules anti-vaccins, mais qui pourrait ensuite se mobiliser pour faire éclater le plafond salarial des travailleurs du secteur public, faire embaucher plus de personnel et accroître le financement des soins de santé et exiger des horaires plus courts, plus de congés et plus de jours de maladie pour les travailleurs de la santé. Autrement dit, il faut bâtir un mouvement qui non seulement améliore les conditions des travailleurs de la santé, mais aussi la qualité des soins de santé pour l’ensemble de la classe ouvrière.