Le 12 septembre dernier, une manifestation anti-masque à Montréal a rassemblé des milliers de personnes. À sa tête, des figures d’extrême droite et des énergumènes conspirationnistes. C’était la plus grosse manifestation du genre jusqu’à ce jour au Québec, et la troisième à Montréal depuis le début de la pandémie. Des manifestations du genre ont aussi lieu ailleurs à travers le monde, comme en Pologne et en Allemagne. Comment expliquer cet engouement pour un mouvement qui semble contraire à tout sens commun?

Perte des repères

En voyant la manifestation, la première chose qui frappait était son caractère hétéroclite. Des drapeaux pro-Trump côtoyaient des drapeaux patriotes. Des partisans de la théorie du complot QAnon (qui dit que le gouvernement américain est contrôlé par une clique pédo-sataniste) marchaient à côté de militants anti-vaccins, anti-5g ou pro-chloroquine. Des pancartes dénonçaient les « fake news », la « tyrannie » ou la « dictature », s’en prenaient à Horacio Arruda et François Legault, appelaient à défendre la « liberté » ou minimisaient la gravité de la pandémie, voire la niaient complètement. Un heureux mélange!

Beaucoup de gens s’inquiètent de ce spectacle et dénoncent avec mépris ceux qu’ils appellent les « covidiots ». D’autres, comme Xavier Camus, cet enseignant du cégep qui mène une vigie de l’extrême droite et des conspirationnistes, minimisent le mouvement. Celui-ci affirmait par exemple à propos de la manifestation de samedi : « Bref, le mouvement complotiste a ralenti son expansion et pourrait décliner au cours des prochaines semaines, alors que l’anxiété générale du retour en classe et du retour au travail aura diminué. »

Mais si les têtes d’affiche sont effectivement des hurluberlus conspirationnistes et d’extrême droite, ce serait une erreur pour la gauche de simplement ridiculiser et minimiser ce mouvement qui canalise la colère d’une couche de travailleurs. Ils n’étaient certainement pas 100 000 dans les rues comme ils le prétendent, mais avec près de 10 000 personnes, c’est beaucoup plus que les quelques centaines de pathétiques gens que l’extrême droite pouvait mobiliser jusqu’ici.

Selon un sondage récent, 18% des Québécois croient que la pandémie « a été créée par les gouvernements pour nous contrôler ». Il ne faudrait pas penser que ce genre de phénomène ne représente qu’une donnée aberrante. En fait, la popularité grandissante d’idées étranges et le rejet de la science représentent un symptôme du fait que la société s’enfonce toujours plus profondément dans la crise.

Le système économique capitaliste est complètement pourri et gangrené de partout. À la crise environnementale s’est greffée cette année une crise sanitaire, qui a été l’étincelle d’une crise économique sans équivalent dans l’histoire. Dans un tel contexte où tout s’effondre, où rien ne va plus, les gens cherchent des réponses. Si personne ne leur offre de réponse raisonnable, il ne faut pas s’étonner qu’ils aillent en chercher des déraisonnables.

Aucune opposition

Et au Québec, il faut le dire, personne n’a été là pour offrir de réponse. Dès le début de la pandémie, il semblait qu’il n’y a avait aucune voix pour contredire celle du premier ministre. Les médias se sont fait les simples porte-parole de la CAQ, ne faisant que relayer sans critique les directives et décisions du gouvernement. La soumission des médias était si forte que deux fois plutôt qu’une, François Legault s’est ouvertement attaqué au rare journaliste, Aaron Derfel de la Montreal Gazette, qui osait critiquer le gouvernement!

Le gouvernement semblait au-dessus de toute critique. Pourtant la réponse de la CAQ à la COVID-19 a été complètement bâclée et remplie de contradictions. Il est tout de même incroyable que Legault ait réussi à maintenir son image d’homme ayant bien en main la situation, alors qu’il se trouve à la tête d’un des lieux au monde avec le pire taux de mortalité à la COVID-19.

Cette offensive médiatique, détachée de la réalité, combinée aux revirements du gouvernement, notamment sur la question du masque, n’a pu que renforcer la méfiance. À la mi-mars, Horacio Arruda affirmait qu’il ne fallait pas porter le masque parce qu’il donnait un « faux sentiment de sécurité ». Puis, à la mi-mai, Legault et Arruda arrivent à leur conférence de presse masqués, recommandant « fortement » de le porter! Voilà qui a donné de l’eau au moulin des anti-masque et autres conspirationnistes.

Dans ce contexte, pas surprenant que des complots gagnent du terrain. Comment faire confiance au gouvernement, quand ses directives se contredisent et ne semblent pas fonctionner? S’il y a vraiment une dangereuse pandémie, pourquoi Legault dit-il qu’il est sécuritaire de retourner au travail, d’envoyer nos enfants à l’école, d’aller dans les bars? Qui et que croire?

Ce phénomène a été amplifié par l’absence presque complète de voix d’opposition à l’Assemblée nationale – ce que Québec solidaire aurait dû être.

Vide à gauche

Au début de la pandémie, Québec solidaire s’est mis entièrement au service de la CAQ et n’a offert aucune critique. Gabriel-Nadeau Dubois l’a ouvertement admis au Conseil national du parti du 12-13 septembre : « Il y a certaines personnes qui souhaitaient que Manon, très rapidement, dès les premiers jours de la pandémie, se place en confrontation radicale et frontale avec le gouvernement du Québec. Ce n’est pas la décision que nous avons prise. »

Alors que de plus en plus de gens voyaient que les choses ne tournaient pas rond et que certains perdaient confiance dans la CAQ, personne à gauche n’était là pour critiquer la CAQ et expliquer les motivations de classe de ses zigzags face à la pandémie. Au contraire, Manon Massé avait affirmé que QS allait jouer le rôle de « premier violon » du chef d’orchestre Legault! 

Si nous devions résumer l’approche de la direction du QS en un mot, ce serait : la peur. Les dirigeants de QS ont peur d’être perçus comme des opposants au gouvernement, comme des « chialeux ». Donc, tout ce qu’ils disent est toujours formulé dans un langage parlementaire doucereux, dans l’optique de « collaborer » et d’aider le gouvernement. 

Cette approche a été un échec lamentable. La CAQ n’a jamais été aussi élevée dans les sondages, et QS a perdu le tiers de ses appuis. Massé a tenté une explication au récent conseil national : « Notre objectif, c’est de faire en sorte que le programme de QS trouve sa place, mais […] il y a eu une éclipse médiatique. » C’est donc la faute des médias! 

Mais voilà justement le problème. Les médias de masse n’ont pas comme rôle d’être objectifs. Dans la société capitaliste, les médias ont comme fonction sociale de défendre l’idéologie de la classe dominante, la classe capitaliste. Il est complètement futile pour un parti qui prétend lutter contre cette idéologie de tenter de gagner leur faveur. Québec solidaire aura beau s’aplatir devant les dieux médiatiques, ceux-ci ne feront que le piétiner. Devant le barrage médiatique pro-Legault, le rôle d’un « parti de la rue » digne de ce nom aurait été de contrer le message dominant par ses propres moyens. Par exemple, QS aurait été bien en mesure d’organiser une manifestation de masse contre le dangereux retour à l’école (dés)organisé par la CAQ, par exemple. Bien des parents et des enseignants auraient rejoint un tel mouvement. Mais aucune mobilisation du genre n’a eu lieu.

Avec le vide complet à gauche, la colère montante de la population face à l’incertitude économique et aux zigzags du gouvernement a pu être récupérée par des zélés de droite. Reflétant un rejet général de la politique de la CAQ, des manifestants avaient des affiches dénonçant le projet de loi 61 du parti, qui devait donner des pouvoirs démesurés au gouvernement. Au fond, ces manifestants expriment de façon déformée et malsaine une méfiance envers le gouvernement et les institutions capitalistes en général, et les médias de masse et l’industrie pharmaceutique en particulier. Mais en l’absence d’une analyse de classe de ces institutions, toutes sortes de théories bizarres prennent la place. Beaucoup des préoccupations des manifestants de samedi dernier pourraient trouver une explication dans une telle analyse.

Les travailleurs ne devraient avoir aucune confiance envers ce gouvernement au service des patrons, pas plus qu’envers les médias de masse, qui servent à défendre l’idéologie de la classe dominante ou qu’envers l’industrie pharmaceutique, qui vise à faire de l’argent, sans égard à la santé des consommateurs. Lorsque la gauche ne mène pas la charge contre ces institutions, l’extrême droite et les conspirationnistes peuvent prétendre les dénoncer, tout en canalisant la colère des couches arriérées de la classe ouvrière dans des canaux inoffensifs pour la classe dirigeante.

Mais il peut en être autrement. La tension dans la société ne va pas aller en baissant. À mesure qu’une deuxième vague du virus approchera, que la crise économique se fera pleinement ressentir, de plus en plus de travailleurs réaliseront que la CAQ n’est pas du côté des travailleurs et rejetteront le statu quo. Le gouvernement de la CAQ va certainement faire porter le fardeau de la crise économique sur nos épaules. Plus que jamais, il faudra une voix pour les travailleurs désillusionnés qui chercheront à combattre les mensonges de la CAQ, leur gestion bâclée de la pandémie et leurs mesures d’austérité à venir.

Le marxiste Antonio Gramsci disait : « Le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître, et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres. » Ne laissons pas l’extrême droite et les conspirationnistes canaliser la colère montante. Nous devons bâtir une solution de rechange. Il nous faut une opposition audacieuse, socialiste et anti-establishment pour combattre la CAQ, la droite et leurs rejetons conspirationnistes.