La Riposte socialiste souligne les 50 ans de Mai 68

50 ans après les évènements de Mai 1968 en France, Socialist Fightback/La Riposte socialiste a organisé une conférence sur les leçons de cet événement le 17 mai dernier. Pour l’occasion, Fred Weston, rédacteur du site Web In Defense of Marxism, a expliqué les leçons de ce qui représente la plus grande grève générale révolutionnaire de […]

  • Olivier Le Blanc
  • jeu. 24 mai 2018
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50 ans après les évènements de Mai 1968 en France, Socialist Fightback/La Riposte socialiste a organisé une conférence sur les leçons de cet événement le 17 mai dernier. Pour l’occasion, Fred Weston, rédacteur du site Web In Defense of Marxism, a expliqué les leçons de ce qui représente la plus grande grève générale révolutionnaire de l’histoire. Devant un auditoire d’une trentaine de personnes rassemblées dans une salle de l’Université Concordia à Montréal, le militant italien a expliqué l’importance historique d’un événement comme Mai 68, ce qui l’a préparé, ainsi que les raisons pour lesquelles le mouvement n’a pas réussi à renverser le capitalisme. Une période de discussion ouverte a ensuite eu lieu, où plusieurs personnes sont intervenues sur le sujet des méthodes et du programme à adopter afin que les prochains mouvements de la sorte puissent parvenir à la victoire.

Fred a commencé la conférence en montrant comment les médias bourgeois de l’époque n’avaient aucunement vu venir le mouvement. Il a donné l’exemple du magazine The Economist, qui expliquait les succès du capitalisme français par le fait que la France avait un mouvement syndical « pathétiquement faible ». Bien sur, ceci n’était que le point de vue de la classe dominante. Mais la situation n’était pas meilleure avec les « marxistes » de l’époque. Fred a donné l’exemple de Ernest Mandel, un supposé marxiste qui affirmait en avril 1968 que la classe ouvrière française était américanisée et qu’il n’y aurait pas de grand mouvement dans le pays pour les 20 prochaines années! Mais les travailleurs ont fait ravaler leurs paroles à tous ces gens en passant bien près de renverser le capitalisme français.

L’après-guerre avait été l’occasion en France d’une rapide industrialisation dans un contexte où l’économie du pays reposait encore énormément sur l’agriculture. Le capitalisme connaissait un boom sans précédent dans son histoire, si bien qu’il n’y eut pas de crise économique de grande ampleur entre 1948 et 1973. Cette expansion, cependant, se faisait sur le dos des travailleurs, qui travaillaient souvent à un rythme de 45 à 50 heures par semaine dans des conditions de travail exécrables. Une indignation se faisait de plus en plus sentir dans la classe ouvrière. Le mouvement provoqué par cette colère, la bourgeoisie ne l’avait vu venir. Mai 68 était le début d’un réveil de la classe ouvrière en Europe et dans le monde, après des années de paix sociale relative.

Fred Weston a alors expliqué que, lors de situations prérévolutionnaires, il n’est pas rare de voir d’autres couches de la société, autre que la classe ouvrière, paver la voie au mouvement. C’est exactement ce qui s’est passé durant le mois de mai : ce sont les étudiants qui ont entamé la lutte. Suite à la répression sévère du mouvement étudiant notamment à la Sorbonne, les directions des centrales syndicales ont appelé à la grève générale le 13 mai, dans le but de laisser la colère des travailleurs s’exprimer un peu, mais sans plus. Résultat : la grève est un succès, plus d’un million de travailleurs sont dans les rues, dont une majorité de travailleurs non syndiqués. Pour les marxistes, la grève générale est un outil qui permet à la classe ouvrière de prendre conscience de sa force. C’est ce qui se produit : comme une étincelle, le mot circule qu’il faut aller plus loin, qu’il faut continuer la grève. Le nombre de grévistes augmente en nombre de plus en plus, jusqu’à atteindre une dizaine de millions de grévistes le 21 mai. Les travailleurs commencent à occuper leurs lieux de travail et des comités de grève commencent à prendre le contrôle de l’économie.  C’est un « débordement » du point de vue des syndicats qui n’avaient pas du tout prévu un tel enthousiasme : les dirigeants ont l’impression de perdre le contrôle. Le président français Charles De Gaulle n’arrivait plus à contrôler la situation lui non plus. Le 24 mai, il annonce un référendum sur son gouvernement, mais il ne peut même pas imprimer les bulletins de vote parce que les imprimeurs sont en grève! Les travailleurs étaient effectivement en train de prendre le contrôle de la société. Des soldats de l’armée française étaient allés jusqu’à dire que bien qu’ils soient « contre les méthodes des grévistes », ils n’auraient jamais tiré sur eux. L’État bourgeois était littéralement paralysé, et les travailleurs, voulant aller plus loin encore, scandaient « Gouvernement populaire! » dans les rues. À ce moment, une révolution victorieuse était entièrement possible. Cependant, un tel moment est extrêmement volatile et court, et sans direction révolutionnaire, le mouvement perd son élan, la fatigue prend sa place, et l’occasion peut glisser des mains de la classe ouvrière très rapidement. C’est ce qui arrivé lors de Mai 68.

Devant le mouvement de masse, les dirigeants staliniens du Parti communiste français (PCF) ainsi que les dirigeants syndicaux réformistes de la Confédération générale du travail (CGT) n’étaient pas de l’avis qu’il fallait aller plus loin, alors que la base de ces deux organisations de masse était massivement mobilisée lors des grèves. Alors que la classe ouvrière appelait à un « gouvernement populaire », ses dirigeants n’avaient rien d’autre à dire qu’ils étaient « prêts à négocier » avec les patrons. Les dirigeants des organisations ouvrières ne considéraient pas que cette grève massive était une révolution et qu’elle ouvrait la possibilité réelle pour les travailleurs de prendre le pouvoir. Pour la bourgeoisie, qui voyait le pouvoir glisser hors de ses mains, l’attitude des dirigeants du mouvement ouvrier était comme un cadeau tombé du ciel. Fred Weston a ensuite expliqué que si un mouvement arrête d’aller de l’avant, il se met malheureusement à reculer tôt ou tard. Comme les dirigeants du mouvement ouvrier refusait de prendre l’initiative, celle-ci passa alors à la droite. Charles De Gaulle déclencha des élections vers la fin du mois de juin : la gauche subit une énorme défaite, avec le Parti communiste qui faisait campagne au nom de la « loi et l’ordre »! C’est la droite qui en sortit le plus fort, gagnant plus du deux tiers des députés à l’Assemblée nationale. Les travailleurs ont fini par retourner au travail, acceptant les concessions octroyées par le patronat, mais ayant perdu la possibilité de prendre tout le pouvoir.

Le PCF et la CGT ont sauvé le capitalisme, à ce moment. La classe ouvrière a réussi à gagner des concessions, mais la bourgeoisie a gardé intacte la propriété privée, c’est-à-dire ce qui lui permet de garder son emprise sur la société. Sous le capitalisme, ce que la bourgeoisie donne de la main gauche, elle le reprend de la main droite : ainsi, les gains faits à la suite de Mai 68 ont été perdus avec l’inflation et la crise économique de 1973, notamment. Aujourd’hui, 50 ans après Mai 68, le gouvernement d’Emmanuel Macron est sur l’offensive et cherche à arracher à la classe ouvrière tout ce qui lui reste des gains du passé. Mais la classe ouvrière n’entend pas se laisser faire, et le spectre d’un nouveau Mai 68 plane sur le pays. On peut voir que l’histoire se répète, mais dans des conditions différentes : des groupes d’extrême droite s’attaquent à des étudiants en grève, et des appels au soutien de la part des syndicats se font entendre. Les cheminots sont entrés dans le mouvement le 3 avril dernier avec une grève « perlée ». La différence est qu’aujourd’hui, le capitalisme est encore plus profondément en crise qu’à l’époque. Alors qu’en mai 68, la bourgeoisie avait suffisamment d’espace pour faire des concessions importantes au mouvement ouvrier à cause de l’énorme boom économique, dans le contexte d’aujourd’hui, une telle chose est devenu impossible pour elle. La classe dirigeante française a besoin de s’attaquer aux travailleurs pour que le capitalisme français demeure compétitif, et il est clair que les travailleurs ne vont pas demeurer passifs devant les attaques. Ainsi, les événements de Mai 68 n’ont pas qu’un intérêt historique : il faut en assimiler les leçons afin de préparer la victoire des mouvements similaires à venir!

Lors de sa présentation, Fred a expliqué que le mouvement de Mai 68 avait ouvert une période de lutte de classe à travers toute l’Europe et ailleurs dans le monde, nommant le mouvement étudiant au Mexique de la même année, le mouvement contre la guerre du Vietnam aux États-Unis, la révolution pakistanaise de 1968-1969, la victoire de Salvador Allende lors des élections au Chili en 1970, la révolution portugaise de 1974, et plusieurs autres. Il a fait le parallèle avec aujourd’hui, où nous voyons des mouvements se développer un peu partout dans le monde : le mouvement autour de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, le mouvement pachtoune au Pakistan,la grève des enseignants aux États-Unis, etc. La classe ouvrière est de plus en plus mécontente du système, et cherche des solutions pour sortir de la crise.

Pendant la période de discussion, une camarade a expliqué que l’une des leçons du mouvement de Mai 68 était la nécessité pour les étudiants aujourd’hui de tenter de tisser des liens avec le mouvement ouvrier, à l’image de ce qui s’était passé à l’époque. Également, un autre participant a ajouté des éléments pour expliquer l’opposition du PCF à l’idée de renverser le capitalisme en France. Il a expliqué que la création d’une véritable démocratie ouvrière en France aurait pu inspirer les masses soviétiques de renverser la clique bureaucratique qui dominait l’URSS. Le PCF, relié intimement au parti dirigeant à Moscou, ne voulait pas d’un tel scénario. Une discussion sur comment fonder un parti marxiste a également eu lieu, et des interventions ont porté sur les méthodes à suivre pour aller rejoindre la classe ouvrière afin de devenir un parti de masse. Dans sa conclusion, Fred est revenu sur cette question, en expliquant que le rôle des marxistes n’est pas d’essayer de créer artificiellement des mouvements ou de se substituer à la classe ouvrière, mais plutôt de construire patiemment l’organisation révolutionnaire, de travailler au sein des organisations de masse de la classe ouvrière, afin de gagner les couches radicalisées à notre programme socialiste. Il a fait un parallèle avec Lénine et les bolcheviks qui sont demeurés de nombreuses années dans l’ombre, à faire du travail patient auprès des masses pour les gagner à un programme révolutionnaire, avant de finalement prendre le pouvoir en 1917.

Enfin, Fred a souligné à nouveau que le capitalisme a atteint aujourd’hui ses limites. Les guerres en Syrie, au Yémen, au Soudan, au Congo, etc., sont des symptômes de la barbarie qu’entraîne le système. Mais il y a un autre côté à cette médaille, qui est la radicalisation croissante des travailleurs et des jeunes tout autour du monde.

Ce qui manquait en Mai 68 en France, c’est une organisation révolutionnaire marxiste afin d’expliquer aux travailleurs les étapes à suivre, dans un langage qu’ils comprennent, et de les orienter vers la création d’une démocratie ouvrière et le renversement du capitalisme. C’est ce dont nous aurons besoin également pour les mouvements qui viendront inévitablement. Fred Weston a conclu la soirée en lançant un appel aux participants à rejoindre la Tendance marxiste internationale pour construire dès aujourd’hui cette organisation!