Le Guide Michelin débarque au Québec : une course vers le bas pour les cuisiniers

Le Guide Michelin impose une course vers le bas entre les employés de tous les établissements de haute gastronomie dont les patrons cherchent à attirer la prestigieuse distinction.

  • Sasha B., Montréal
  • jeu. 12 déc. 2024
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Imaginez que vous rentriez chez vous après votre troisième service de 10 heures consécutives sans interruption, que vous réussissiez à dormir environ 6 heures, que vous vous leviez pour recommencer, mais qu’en arrivant au travail, le patron convoque une réunion générale.

« Ce n’est pas un secret : nous sommes en affaires pour gagner de l’argent. Le Guide Michelin a été autorisé au Québec pour la première fois, et je veux que cet endroit y figure. Les normes élevées que nous avions auparavant doivent être renforcées si nous voulons figurer dans le Guide Michelin. Pour que cela devienne réalité, chacun d’entre vous doit vraiment VOULOIR travailler des journées de 12 à 14 heures, nettoyer le fond de la friteuse, couper le ruban adhésif avec des ciseaux, plier les chiffons en carrés parfaits, ne rien tacher, ne rien renverser, et savoir que l’on peut toujours faire mieux, plus vite et plus proprement, sans attendre d’éloges. Cela signifie que nous donnerons la priorité aux personnes qui montrent cette volonté, et ceux qui ne la montrent pas auront moins d’heures, et c’est garanti. Si nous obtenons ces étoiles, votre carrière progressera rapidement! »

« OUI, CHEF! » répondons-nous tous à l’unisson. Ou du moins presque tous.

Le Guide Michelin a été tenu à l’écart du Québec pour de nombreuses raisons. Une de ces raisons est que la restauration québécoise s’est enorgueillie de maintenir une « culture décontractée » qui contraste avec la froideur et le snobisme qui accompagnent habituellement les étoiles Michelin. On oublie souvent, cependant, l’aspect travail de l’équation : le Guide Michelin impose une course vers le bas entre les employés de tous les établissements de haute gastronomie dont les patrons cherchent à attirer la prestigieuse distinction. Les travailleurs se disputent le droit de payer un loyer tout en générant des dizaines de milliers de dollars de revenus chaque heure. Les patrons se justifient ensuite en rappelant à leurs esclaves salariés que s’ils se tiennent tranquilles, ils auront peut-être un jour à leur tour des esclaves salariés qu’ils pourront ruiner au nom de l’« art » (hum! hum!, au nom du profit).

Une cuisine vraiment excellente est une expérience culturelle que tout être humain devrait pouvoir apprécier, mais le capitalisme ne la réserve qu’aux plus privilégiés, au prix de certaines des conditions d’exploitation les plus dures qui soient. Le Guide Michelin n’est rien d’autre que la bourgeoisie célébrant publiquement ses propres crimes.