Les Belles-sœurs : l’expérience universelle de la classe ouvrière

Le fait que des gens partout dans le monde se retrouvent dans l’histoire particulière de quelques habitants d’un quartier ouvrier de Montréal démontre bien son caractère universel. 

  • Hélène Bissonnette
  • lun. 25 nov. 2024
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Je suis récemment allée voir le nouveau film Nos Belles-sœurs, une adaptation de la célèbre pièce Les Belles-sœurs de Michel Tremblay. Tant par la réalisation que le jeu des actrices, le film rend bien justice à la richesse des personnages du dramaturge québécois, et assure une transition juste du comique initial de l’histoire jusqu’à la lourdeur finale de ce drame. Ce visionnement me fut l’occasion de réfléchir sur la profondeur de l’œuvre. 

L’histoire est si simple : Germaine Lauzon, mère au foyer du Plateau-Mont-Royal (quartier pauvre qui était à l’époque emblématique des milieux ouvriers de Montréal), gagne un million de timbres Gold Star. Une fois collés dans des livrets, ils lui permettront de s’acheter un tas de meubles, d’électroménagers et un paquet de bébelles qui se trouvent dans le catalogue de la compagnie. Exaltée, elle invite alors sa sœur et ses voisines pour une soirée de collage de timbres. 

La nouvelle joyeuse de Germaine provoque toutefois une haine secrète des autres. « Que c’est qu’a’l’a tant faite, madame Lauzon, pour mériter ça, hein? Rien! Rien pantoute! », se lamenteront ces femmes si envieuses. Il s’ensuit peu à peu l’exposition, sur un ton tragi-comique, des plaintes de ces ménagères, prises entre les corvées quotidiennes, les enfants, le mari, les problèmes d’argent… et le « maudit cul! »  Au travers de la routine aliénante de la vie familiale se fait entendre le cri épuisé de ces prisonnières malheureuses : « Chus tannée de mener une maudite vie plate! » 

Dès sa première représentation en 1968, la pièce a fait scandale, notamment parce que Tremblay avait « osé » faire parler les personnages en joual – ce parler vrai et brut de la classe ouvrière québécoise. Pour une des premières fois au Québec, le p’tit peuple arrivait sur la scène avec sa vulgarité, ses imperfections et son humanité. Tremblay dira à l’époque: « On va arrêter d’avoir honte et on va faire parler le monde comme il parle dans la vraie vie. » De quoi horrifier l’élite et son parler en cul-de-poule! 

Au grand dam de la haute société canadienne-française bien-pensante, la pièce a connu un rapide succès qui a dépassé les frontières du Québec. Il s’agit aujourd’hui de la pièce québécoise la plus jouée à l’international, avec 225 productions en près de 30 langues et dans 25 pays. Le fait que des gens partout dans le monde se retrouvent dans l’histoire particulière de quelques habitants d’un quartier ouvrier de Montréal démontre bien son caractère universel. 

Marque du grand art, l’univers de Tremblay nous renseigne plus sur la vérité du monde que n’importe quel reportage ou document d’archives. Car ces belles-sœurs, ce sont nos mères, grands-mères et arrières-grands-mères. C’est l’histoire des femmes de la classe ouvrière qui est mise en paroles et qui ne cessera d’éveiller en moi le désir révolutionnaire de leur faire justice. C’est pour ces gens-là que je me bats.