Les syndicats de l’Alberta forment un front commun

« Pourquoi être une roue dans l’engrenage quand on peut être un loup dans une meute? »

  • Holly Quilty
  • lun. 12 mai 2025
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Le rassemblement du Front commun du 26 avril avec Chris Smalls

« Pourquoi être une roue dans l’engrenage quand on peut être un loup dans une meute? »

C’est avec ces mots que s’ouvre la vidéo de lancement du « Front commun de l’Alberta », qui unit de nombreux syndicats de la province, représentant plus de 300 000 travailleurs.

La pierre angulaire de cette initiative est un pacte de solidarité entre les syndicats, y compris l’AFL, l’AUPE, Unifor, les UNA et le SCFP. Le site web du Front commun décrit ce pacte ainsi : « Ces syndicats adhèrent au principe de défense collective et conviennent qu’une attaque […] contre un syndicat partenaire est une attaque contre tous les syndicats partenaires. Tous les syndicats partenaires s’engagent à prendre des mesures décisives pour soutenir tout syndicat partenaire ou groupe de syndicats attaqué par des actions concertées et coordonnées. »

C’est un grand pas dans la bonne direction. S’il est mis en œuvre énergiquement, ce pacte de solidarité signifiera qu’aucun syndicat ne se battra seul. Chaque syndicat pourra compter sur l’aide des autres. Et comme une victoire pour l’un est une victoire pour tous, c’est l’ensemble du mouvement qui s’en trouvera renforcé. Comme le dit l’engagement du Front commun aux personnes qui souhaitent soutenir la lutte : « Les travailleurs savent que l’union fait la force. C’est en luttant ensemble que nous obtenons les plus grands gains. »

Le Pacte de solidarité engage également à défendre le droit de grève « à l’aide d’actions coordonnées » contre toute attaque, qu’elle provienne du gouvernement provincial ou fédéral. Cela est également crucial. La menace d’une grève est la seule façon pour les travailleurs de forcer les patrons et le gouvernement à céder aux demandes des travailleurs. C’est pourquoi retirer le droit de grève, que ce soit à l’aide de la loi de retour au travail ou du Conseil canadien des relations industrielles, est l’une des tactiques préférées du gouvernement.

Un moment décisif

Et ce Front commun – une « ligne tracée dans le sable » pour mettre un frein à la chute libre des conditions de vie, comme l’a dit le président de l’AFL Gil McGowan – arrive à point. Le Canada traverse la crise la plus grave qu’il ait connue depuis des décennies. Les attaques contre la classe ouvrière sont imminentes, comme l’a souligné McGowan lorsqu’il a déclaré que les patrons « utiliseront ce moment de crise comme prétexte pour s’en prendre aux travailleurs canadiens ». Nous le voyons déjà, avec les licenciements dans le secteur privé à travers le pays. Et les attaques des gouvernements ne manqueront pas non plus. Les gouvernements, qui ont prouvé à maintes reprises qu’ils étaient au service des ultra-riches, essaieront immanquablement de faire payer la crise aux travailleurs.

Il s’agit d’un moment important pour le mouvement syndical pour une autre raison. De nombreux syndicats sont en négociation cette année. Gil McGowan explique : « Le Pacte de solidarité n’a pas seulement pour but d’assurer une défense solide, mais aussi d’assurer l’offensive la plus forte possible afin que nous puissions collectivement remporter des victoires pour les plus de 200 000 travailleurs de l’Alberta qui sont encore à la table de négociations pour obtenir des augmentations de salaire qui suivent l’inflation. »

Combattre la crise, lutter pour des augmentations de salaire qui suivent l’inflation, unir les syndicats, défendre le droit de grève – voilà bien ce qu’il faut faire pour défendre nos conditions dans cette crise grave.

Ce sont de belles paroles. Et l’AFL a déjà commencé à mener une petite mobilisation. En février, elle a organisé une « tournée du Front commun », une série de réunions publiques à travers la province. Son récent congrès avait également pour thème le Front commun. Et elle a organisé un rassemblement à Edmonton pendant ce congrès, le samedi 26 avril. C’est un bon début.

Mobiliser pour gagner

Il est maintenant temps de concrétiser ces belles paroles. À la fin de l’année 2020, l’AFL a lancé la campagne « Tenir tête à Kenney » pour lutter contre le premier ministre de l’époque, Jason Kenney. Elle est allée jusqu’à demander aux gens de s’engager à soutenir une grève générale contre Kenney. Malheureusement, cette initiative est restée abstraite et le syndicat n’y a pas donné suite. Le Front commun ne peut pas finir de la même manière. La prochaine étape est de forger un plan de bataille pour la solidarité entre tous les syndicats, non seulement en paroles, mais aussi en actions.

La lutte peut se dérouler dans plusieurs directions, mais il y a quelques éléments clés à considérer. Tout d’abord, le Front commun doit être prêt à tenir sa promesse de défendre les piquets de grève. Cela commence par une interdiction de franchir les piquets de grève. Il s’agit d’une tradition fondamentale du mouvement syndical.

Pourtant, à peine deux semaines avant le lancement du Front commun en mars, l’un des syndicats du Front commun, l’Association des enseignants de l’Alberta (ATA), a brisé cet impératif de solidarité. Elle a ordonné à ses membres de franchir les lignes de piquetage des travailleurs de soutien à l’éducation. Cela a provoqué la colère des enseignants, qui ont été forcés de traverser les lignes de piquetage de leurs plus proches collègues. L’ATA a également encouragé les enseignants substituts à prendre les plages horaires offertes et agir comme briseurs de grève. Laissés pour compte, ces travailleurs – parmi les moins bien rémunérés de la province – ont été contraints d’accepter un contrat décevant. Ce scandale ne peut pas se reproduire. Plutôt, les syndicats du Front commun doivent s’engager à respecter les piquets de grève les uns des autres.

Le Front commun vise également, à juste titre, à défendre le droit de grève. Comment s’y prendre? Ici, l’exemple de la grève des travailleurs de soutien à l’éducation de l’Ontario de 2022 est essentiel. C’est la première fois en une génération qu’une loi de retour au travail a été défiée.

Les travailleurs ont défié la tentative du premier ministre Doug Ford de retirer le droit de grève aux travailleurs en allant en grève illégale. Plutôt que de laisser tomber ces travailleurs, le mouvement syndical a formé un front commun, menaçant de déclencher une grève générale. Ford a dû reculer avec la queue entre les jambes. Et les travailleurs n’ont pas payé un sou en amendes. Ainsi, la prochaine fois que le droit de grève d’un syndicat sera brimé, l’ensemble du Front commun devrait suivre l’exemple des travailleurs ontariens.

Dans ce contexte de crise, les licenciements ont déjà commencé. En mars, l’Alberta a perdu 30 000 emplois à temps plein, le taux de perte d’emplois à temps plein le plus élevé au pays. Lutter contre les pertes d’emploi est exactement ce que le Front commun devrait faire. L’histoire démontre que les occupations de lieux de travail et les grèves sont les meilleures armes pour protéger les emplois – le Front commun devrait les avoir dans son arsenal. 

Les fronts communs ont une longue histoire. Et par-dessus tout, un front commun signifie lutter ensemble. Au Québec par exemple, lorsqu’un front commun est formé, tous les syndicats participants négocient et font la grève ensemble. Cela devrait être imité en Alberta. En luttant ensemble, le Front commun de l’Alberta a un potentiel immense. Prenant en considération que presque tous les syndicats principaux sont impliqués, cela pourrait paralyser l’économie.

Tout cela est possible. Les travailleurs craignent de perdre leurs moyens de subsistance. Après des années de contrats pourris et de baisses de salaires, ils ont assez entendu de paroles creuses. Ce qu’ils recherchent, c’est un moyen de se battre. Le Front commun peut le leur offrir. Avec des revendications audacieuses et des méthodes audacieuses pour les défendre, les travailleurs peuvent se mobiliser en un mouvement puissant. Ainsi, les travailleurs peuvent imposer leurs revendications aux patrons et au gouvernement.

Piquets de grève, on ne passe pas!
Défendons le droit de grève!
Aucun licenciement!
Grève jusqu’à la victoire!


Enthousiasme au rassemblement du Front commun

Quatre camarades du PCR ont participé au rassemblement du Front commun à Edmonton le 26 avril, organisé par l’Alberta Federation of Labour et le Syndicat des employés provinciaux de l’Alberta (AUPE). Entre 300 et 400 personnes, provenant de plusieurs syndicats, ont participé à ce rassemblement. C’était petit, mais l’ambiance était excellente.

Nous n’avons pas eu besoin d’approcher les gens dans la foule, car ils venaient immédiatement à nous. Nous n’avions même pas fini d’installer notre table que déjà les travailleurs venaient à nous pour parler du communisme, de ce que nous défendions et de ce qui rendait le PCR différent des autres partis communistes. Quelques minutes après notre arrivée, nous avions déjà vendu pour 35 dollars de livres et de journaux. Les choses n’ont pas ralenti par la suite. En moins de deux heures, nous avons vendu 22 journaux. 

J’ai parlé avec de nombreux travailleurs qui en avaient assez de la situation actuelle et qui se disaient prêts à être solidaires et à « se battre pour la classe ouvrière », comme l’a dit un métallurgiste. « Je veux juste pouvoir faire mon travail et nourrir ma famille », nous a dit un travailleur du secteur de la santé. « Le gouvernement [de l’UCP] rend cela impossible. » « Je suis ici parce que trop c’en est trop. Nous ne pouvons pas les laisser nous traiter comme ça. Aucun d’entre nous. Je suis ici en solidarité avec l’AUPE », m’a dit un chaudronnier.

Il est intéressant de noter qu’aucune des personnes à qui j’ai parlé n’a mentionné les élections fédérales lorsque je leur ai demandé quelles seraient les prochaines étapes. Au lieu de cela, elles ont émis des idées vagues, mais passionnées, sur la nécessité d’une « riposte » et d’être « unis ». 

Certains travailleurs ont exprimé leur déception face à leur direction syndicale, mais tous affirmaient qu’il était important de venir au rassemblement, de « démontrer la force du nombre » et de faire preuve de solidarité. L’ambiance générale était incroyablement enthousiaste, mais aussi très, très sérieuse. Personne n’était là pour simplement passer une belle journée.

Chris Smalls, le fondateur et ancien dirigeant du premier syndicat de travailleurs d’Amazon, à New York, a prononcé un discours très bien reçu. Il a parlé de la cupidité des entreprises et des PDG, et l’on pouvait sentir une vague de dégoût parcourir la foule. J’ai brandi un ancien numéro de notre journal sur lequel figurait Luigi Mangione. Un homme a crié « C’est lui! » et s’est précipité sur nous. « Combien pour le journal? Je vais l’accrocher au mur de ma chambre! » Il a finalement acheté deux journaux, et l’un de ses amis a fait de même.

– Jilian G., Edmonton