Cet article a été publié en anglais sur le site de Fightback le 28 août dernier. Depuis sa publication, le virus a déjà commencé à se propager dans les écoles québécoises. Au moins sept écoles de la région de Québec recensent des cas de COVID-19. À Montréal, une quinzaine d’écoles sont atteintes selon un site Web lancé par un père de famille. De son côté, Legault refuse toujours de rendre publiques les écoles affectées. Le plan de la rentrée semble en voie de devenir un fiasco.

Dans tout le pays, les parents sont confrontés à un choix impossible. Après six mois de confinement, la santé mentale et physique des enfants commence à se dégrader. Mais en raison du sous-financement, la réouverture des écoles crée de nouveaux dangers pour les élèves, le personnel et les familles. Les classes nombreuses et la mauvaise ventilation risquent de faire des écoles le vecteur de la deuxième vague d’infection. Tous les ordres de gouvernement donnent la priorité aux profits des entreprises plutôt qu’au bien-être de la communauté. Ils ne peuvent pas être autorisés à jouer avec la vie des gens de cette manière.

Demandez à n’importe quel parent, et il vous dira combien les choses ont été difficiles pendant le confinement. De la première période de stress face à l’inconnu, à la lutte contre la dépendance à l’écran, l’activité physique limitée et le manque de socialisation, aux conflits sur le temps et l’attention des parents travaillant à la maison, et à la lutte pour trouver des garderies pour ceux qui sont obligés de travailler à l’extérieur, les enfants ne vont vraiment pas bien. Moins de 3% des enfants font au moins 60 minutes d’activité physique chaque jour. L’opinion la plus répandue chez les parents est que les enfants doivent retourner à l’école. Mais les gouvernements provinciaux exploitent le désir des parents de préserver le bien-être de leurs enfants afin d’économiser de l’argent et d’accroître l’exploitation et les profits.

Tout le monde comprend que la réouverture exige de bien pondérer les risques et les dégâts. Pendant la pandémie, chaque étape de la réouverture s’accompagne de risques réels. La question est de savoir si tout est fait pour réduire ces risques. La réponse à cette question a été un « non » décisif.

Bien qu’elles aient eu des mois pour planifier, toutes les provinces ont connu des degrés divers de chaos au moment d’annoncer leur plan de rentrée des classes. Au départ, les orientations générales semblaient être « renvoyez les enfants à l’école et priez que tout se passe bien! » La réouverture des restaurants, des bars et des gymnases semblait être une question bien plus importante pour les élus. Cela montre le véritable processus de réflexion derrière la réouverture des écoles. L’éducation et le bien-être des enfants sont une considération tout à fait secondaire pour ces politiciens capitalistes. Leur motivation première est plutôt le désir de libérer les parents pour qu’ils puissent retourner sur le marché du travail. Ils peuvent ainsi réduire le coût des paiements publics et privés aux parents qui s’occupent des enfants, tout en augmentant le réservoir de main-d’œuvre pour faire pression à la baisse sur les salaires.

Les gouvernements provinciaux qui ont fait pression pour la réouverture ont également voulu le faire à bon marché. Au départ, pratiquement aucun fonds n’a été débloqué pour réduire la taille des classes afin d’atténuer les risques. Il a été démontré que la taille des classes est un élément crucial pour réduire l’infection. Des études récentes, ainsi que l’expérience d’autres pays, ont montré comment la limitation de la taille des classes, et donc l’augmentation de la distance physique dans les établissements exigus, fait toute la différence. Doubler la taille des classes de 8 à 15, ou de 15 à 30, ne double pas le risque d’une épidémie. Le risque est plutôt multiplié par quatre ou cinq à chaque étape. Des pays comme Israël et l’Allemagne, qui avaient auparavant réduit leur taux d’infection, ont constaté que la réouverture des écoles était un facteur important de la deuxième vague de la pandémie.

Les politiciens tentent d’apaiser les inquiétudes en répétant que les enfants ne sont pas aussi gravement touchés par la COVID-19 que les personnes plus âgées. C’est peut-être le cas, ou peut-être pas. On ignore encore beaucoup de choses sur les effets à long terme du virus, qui a présenté certains symptômes anormaux chez certains jeunes. Mais le fait que les enfants soient moins susceptibles de mourir de la COVID-19 ne peut pas réconforter la famille du jeune Montréalais de 19 ans qui a récemment succombé à l’infection. Ce n’est pas non plus un réconfort pour les milliers d’enseignants et de membres du personnel scolaire, dont beaucoup sont dans la cinquantaine ou dans la soixantaine, qui sont obligés de se mettre en danger. Si les enfants en tombent peut-être moins malades, des études ont montré qu’ils sont cependant parfaitement capables de transmettre le virus aux enseignants et à leurs familles.

L’attitude optimiste de la classe dirigeante devant l’idée d’envoyer des travailleurs dans des écoles exiguës peut venir du fait que beaucoup d’entre eux n’ont pas l’intention de s’exposer au même risque. On entend de plus en plus souvent parler de riches qui se retirent du système scolaire public et qui, à la place, paient des dizaines de milliers de dollars pour des écoles privées avec des cohortes réduites garanties, ou qui engagent des tuteurs privés. Cette option n’est tout simplement pas accessible aux familles de la classe ouvrière. Cela a également l’effet secondaire pratique de renforcer l’enseignement privé – un projet qui se poursuit pour la droite qui vise à réduire le budget de l’enseignement public.

Leur mépris pour les travailleurs a été illustré par le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, qui a récemment annoncé que la province allait dépenser 25 millions de dollars pour embaucher 200 nouveaux policiers, alors qu’il a dans le même souffle rejeté une demande du conseil scolaire de Toronto d’embaucher 300 nouveaux enseignants pour un coût de 20 millions de dollars. Le fait que Ford ait donné la priorité aux flics plutôt qu’aux enfants alors que le mouvement « Black Lives Matter » a adopté le slogan de réduire le budget de la police (« Defund the police ») ne fait que tourner le fer dans la plaie. De telles décisions ne sont pas seulement un exemple d’oppression de classe, mais aussi d’oppression raciale. Des études récentes ont montré que les quartiers pauvres et racisés ont été touchés de manière disproportionnée par la pandémie, et le fait de ne pas financer la réduction de la taille des classes ne manquera pas d’exacerber cette dynamique. C’est ce que nous voulons dire quand nous disons que le capitalisme tue.

Sans surprise, il y a eu une forte réaction de rejet parmi les familles de la classe ouvrière. Quelques jours après l’annonce du plan de rentrée scolaire de l’Ontario, des milliers de personnes ont signé une pétition réclamant un plafond de 15 élèves par classe, ainsi que davantage de personnel d’entretien et des fonds pour rénover les systèmes de ventilation. Au moment où nous écrivons ces lignes, plus de 239 000 personnes ont signé cette pétition. Cette vague de pression publique a forcé une série de retraits partiels, qui ont également accru le chaos dans le système. Les conseils scolaires sont obligés d’annoncer de nouveaux plans presque jour après jour, en fonction de ce que les échelons supérieurs de gouvernement leur permettent de faire.

Pour tenter de détourner la pression, l’Ontario a permis aux conseils scolaires de rediriger 500 millions de dollars de fonds de réserve pour aider à faire face à la COVID-19. Mais c’est une arnaque. D’une part, ce montant est insuffisant pour couvrir le coût estimé à 3 milliards de dollars pour réduire les effectifs des classes à 15, réparer les systèmes de ventilation, engager des nettoyeurs, etc. Mais d’autre part, il s’agit d’une fausse économie, car ces fonds de réserve sont nécessaires à la viabilité et à l’entretien à long terme du système éducatif. C’est comme si un agriculteur mangeait toutes ses céréales au lieu d’en garder une partie pour les replanter. Les choses vont encore s’aggraver dans les années à venir. Le Conseil scolaire du district de Toronto a utilisé ces fonds pour réduire la taille des classes du primaire à 20 dans les quartiers les plus pauvres de la ville, mais c’est insuffisant. Toutefois, cela montre que le gouvernement peut être contraint d’agir en réponse à une mobilisation suffisamment importante.

Au Québec, la situation est encore pire qu’en Ontario. Même les efforts d’atténuation les plus limités, tels que le port de masques, ne sont pas obligatoires dans les salles de classe. De plus, les étudiants ne peuvent accéder à l’apprentissage en ligne que s’ils ont un certificat médical, contrairement à l’Ontario où l’apprentissage en ligne est ouvert à tous ceux qui le choisissent. Les effectifs des classes du secondaire resteront pour la plupart inchangés, certains élèves plus âgés étant assis dans des salles de 40 personnes. Il s’agit là d’une catastrophe potentielle, car les données relatives à la réduction de l’impact du virus ne concernent que les enfants de moins de 10 ans. En outre, le Québec fait piètre figure lorsque comparé à l’Ontario, où les classes du secondaire seront réduites à 15 en divisant l’enseignement entre les cours sur place l’école et les cours en ligne. En substance, au Québec, le retour à l’école à plein effectif est obligatoire.

Alors que le gouvernement du Québec ne fait rien et que le gouvernement de l’Ontario en fait trop peu, le régime de Jason Kenney en Alberta travaille activement à aggraver la situation. Le gouvernement du Parti conservateur uni, épris d’amour pour l’austérité, prévoit de licencier 26 000 membres du personnel de soutien scolaire. En réponse à des questions sur l’assainissement, M. Kenney a déclaré qu’il s’attendait à ce que les enseignants « fassent le ménage » et comblent le vide! Les enseignants sont censés faire le travail de quelqu’un d’autre, sans formation, tout en essayant d’enseigner à plus de 30 élèves, de préparer des plans de cours et d’éviter de se faire infecter dans une salle de classe exiguë. L’hypocrisie de Kenney est stupéfiante, étant donné que l’Assemblée législative de l’Alberta limite ses séances à 20 personnes dans une salle beaucoup plus grande. Si Kenney pense qu’il est si sécuritaire de s’asseoir dans une petite salle de classe avec plus de 30 personnes, nous lui suggérons de s’enfermer dans son bureau avec le reste du caucus parlementaire de son parti. Mais nous n’ouvrirons la porte qu’après deux semaines pour nous assurer qu’aucun innocent ne soit plus victime de ses actions imprudentes.

Alors que les plans de gestion des écoles changent de jour en jour, les plans pour ce qui se passe avant et après la journée scolaire sont encore pires. Certains chauffeurs d’autobus scolaires signalent qu’ils ont 74 enfants à ramasser alors qu’ils n’ont que 72 places dans le bus! Dans une telle situation, l’éloignement physique est totalement impossible, ce qui met les élèves, et surtout le chauffeur, en terrible danger. Les appels du syndicat au gouvernement sont restés sans réponse. Pour aggraver les choses, la réglementation stipule qu’un conducteur n’est pas autorisé à laisser un mineur non accompagné seul à un arrêt. Ainsi, un enfant manifestement malade devra tout de même être ramassé, au risque d’infecter tous les autres enfants.

Il n’existe toujours pas de plan cohérent pour atténuer les éclosions. Est-ce qu’on ferme la classe lorsqu’un élève présente des symptômes (qui peuvent être simplement dus à la grippe saisonnière), ou seulement après un test positif? S’il faut un test, cela donne plus de temps au virus pour se propager, mais si c’est après des symptômes, le système entier pourrait s’effondrer. Est-ce que tous les passagers de l’autobus scolaire de l’enfant malade devraient aussi être confinés? Et qu’en est-il des parents de tous ces enfants en quarantaine? Doivent-ils aussi s’isoler, et qui paie leurs salaires? Le silence sur ces questions est assourdissant.

Il est absolument crucial que les parents, les enseignants et les élèves créent un mouvement de masse pour renverser les plans de rentrée scolaire irresponsables. Le gouvernement Trudeau vient d’annoncer que 2 milliards de dollars seront répartis entre les provinces pour des mesures de retour en classe, mais comme l’Ontario à elle seule a besoin d’au moins 3 milliards de dollars, cet argent disparaîtra comme des gouttes d’eau sur une poêle chaude. L’argent existe, mais les gouvernements provinciaux et fédéral sont trop occupés à donner des subventions aux entreprises pour financer un plan de rentrée sécuritaire. Le coût de la réduction du risque de réouverture est minuscule comparé aux centaines de milliards offerts aux banques et aux entreprises qui continuent à verser des dividendes et des primes. Leur incapacité à financer des écoles sûres montre également la stupidité et la myopie des capitalistes, car le coût d’une deuxième vague d’infection déclenchée par les écoles dépassera largement le coût de la garantie qu’elle ne se produise pas au départ. Mais telle est la logique d’un système défaillant qui produit pour le profit et non pour les besoins.

Les syndicats de l’éducation de l’Ontario, qui représentent 190 000 travailleurs, demandent à la Commission des relations du travail de limiter la taille des classes. En réponse, Doug Ford a tenté de détourner l’attention de ses échecs en accusant les syndicats de « faire de la politique » avec la rentrée scolaire. La réalité est que les parents sont à 100% derrière les enseignants, et ne font pas confiance au gouvernement Ford qui a passé l’année dernière à essayer d’augmenter la taille des classes. Cependant, il semble très peu probable que les syndicats aient un quelconque succès auprès de la Commission des relations du travail étant donné que chaque arrêt de travail lié à la COVID a été refusé par l’organisme.

Dans le cas probable où les syndicats n’obtiendraient pas de succès auprès de la Commission, la lutte ne doit pas s’arrêter là. Les taux d’infection sont déjà repartis à la hausse et nous ne pouvons pas permettre que les gouvernements capitalistes soient les instigateurs d’une deuxième vague. La santé publique de Toronto a publié une déclaration dans laquelle elle s’oppose au plan de réouverture actuel. Nous ne pouvons pas permettre que les comptables à la petite semaine des entreprises qui ne se soucient que de faire des profits décident de ce qui est une façon sécuritaire de retourner à l’école.

Les droits s’obtiennent par la lutte. Ils ne nous sont pas gracieusement donnés. Les travailleurs de l’éducation bénéficieraient d’un soutien massif s’ils utilisaient leur droit de retrait. Seuls les travailleurs des secteurs de l’éducation et de la santé sont en mesure de déterminer comment et quand il est possible de retourner à l’école en toute sécurité. Les enseignants de Chicago, de l’Indiana et d’ailleurs ont menacé de faire grève sur l’enjeu de la réouverture des écoles et ont obtenu d’importantes concessions. Tous les ordres de gouvernement sont faibles et peuvent être contraints de faire marche arrière. Ce n’est qu’avec un effort résolu que nous pouvons obtenir une réouverture en toute sécurité pour nos enfants. C’est littéralement une question de vie ou de mort.