La révolution arabe : le Manifeste de la Tendance marxiste internationale

 Les récentes révolutions en Algérie et au Soudan nous montrent qu’aucune des contradictions auxquelles étaient confrontés les travailleurs et la jeunesse, et qui ont mené à la vague de révolutions arabes en 2011, n’ont été résolues. Nous publions à nouveau ce manifeste de la Tendance marxiste internationale qui explique quelles sont les tâches à mener […]

  • Tendance marxiste internationale
  • mer. 17 avr. 2019
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 Les récentes révolutions en Algérie et au Soudan nous montrent qu’aucune des contradictions auxquelles étaient confrontés les travailleurs et la jeunesse, et qui ont mené à la vague de révolutions arabes en 2011, n’ont été résolues. Nous publions à nouveau ce manifeste de la Tendance marxiste internationale qui explique quelles sont les tâches à mener pour la révolution arabe. Écrit lors de la première phase de ce mouvement en mars 2011, ce manifeste demeure tout aussi pertinent aujourd’hui.


La révolution arabe est une grande source d’inspiration pour la jeunesse et les travailleurs du monde entier. Elle a affecté tous les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Elle a des répercussions aux quatre coins du globe. C’est un tournant de l’histoire mondiale.

Ces événements ne sont pas des accidents isolés indépendants du processus révolutionnaire à l’échelle internationale. Nous assistons aux toutes premières phases de la révolution socialiste mondiale. Le même processus général se développera partout, à des rythmes différents. Inévitablement, il y aura des flux et des reflux, des défaites et des victoires, des déceptions et des succès. Nous devons nous y préparer. Mais la tendance générale sera marquée par une énorme accélération de la lutte des classes, à l’échelle internationale.

Le magnifique mouvement des masses, en Egypte et en Tunisie, n’est que le début. Des développements révolutionnaires sont à l’ordre du jour, partout, et aucun pays ne peut se considérer à l’abri du processus général. Les révolutions dans le monde arabe sont une manifestation de la crise mondiale du capitalisme. Elles montrent leur avenir aux pays capitalistes avancés.

La Tunisie

En apparence, la Tunisie était l’un des pays arabes les plus stables. Son économie se développait rapidement. Les investisseurs étrangers réalisaient de beaux profits. Le président Ben Ali dirigeait le pays d’une main de fer. Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes capitalistes.

Les commentateurs bourgeois ne voient que la surface de la société – et non les processus fondamentaux qui sont à l’œuvre dans les profondeurs. Ils n’ont pas vu venir les événements en Afrique du Nord. Ils niaient la possibilité d’une révolution en Tunisie. A présent, tous ces stratèges, économistes, académiciens et « experts » bourgeois étalent publiquement leur perplexité.

La Tunisie s’est soulevée après l’immolation d’un jeune chômeur, Mohamed Bouazizi. Hegel soulignait que la nécessité s’exprime à travers l’accident. Ce n’était pas la première fois qu’un jeune chômeur se suicidait de cette façon, en Tunisie. Mais cette fois-ci, cela a eu des effets inattendus. Les masses sont descendues dans la rue et ont commencé la révolution.

La première réaction du régime fut de réprimer brutalement le mouvement. Comme cela ne marchait pas, il a proposé des concessions, qui n’ont fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. La répression policière n’a pas arrêté les masses. Le régime n’a pas utilisé l’armée parce qu’il ne le pouvait pas : il aurait suffi d’une seule confrontation sanglante pour que l’armée se brise.

La classe ouvrière tunisienne a lancé une vague de grèves régionales qui ont culminé dans une grève nationale. C’est à ce moment que Ben Ali est parti en Arabie Saoudite. C’était la première victoire de la révolution arabe. Elle a tout changé.

Lorsque Ben Ali s’est enfui, les comités révolutionnaires ont pris le pouvoir au niveau local – et, dans certains cas, au niveau régional. A Redeyef, dans le bassin minier de Gafsa, il n’y a pas d’autre autorité que les syndicats. Le commissariat a été incendié, le juge a fui et la mairie a été occupée par le syndicat local, qui y a établi son QG. Des meetings de masse sont régulièrement organisés sur la place principale, où les dirigeants syndicaux prennent la parole. Des comités ont été constitués pour gérer les transports, l’ordre public, les services publics locaux, etc.

Les masses ne se sont pas contentées de leur victoire initiale. Elles sont redescendues dans la rue pour s’opposer à toutes les tentatives de recréer l’ancien régime sous un autre nom. Tous les vieux partis ont été complètement discrédités. Lorsque Ghannouchi a tenté d’installer de nouveaux gouverneurs régionaux, le peuple les a balayés en se mobilisant par centaines de milliers.

En Tunisie, la lave révolutionnaire ne s’est toujours pas refroidie. Les travailleurs demandent la confiscation des richesses de la famille Ben Ali. Or, dans la mesure où elle contrôlait de larges sections de l’économie, c’est une menace directe contre la classe dirigeante tunisienne. La confiscation de la propriété de la clique de Ben Ali est une revendication socialiste.

Les travailleurs tunisiens ont expulsé des patrons impopulaires des entreprises. Le mouvement du 14 janvier s’est prononcé pour la convocation d’une Assemblée Constituante des Comités révolutionnaires. C’est une revendication correcte, mais qui n’a pas été suivie d’actes concrets pour la mettre en œuvre. Malgré l’absence de direction, la révolution tunisienne avance à grands pas. Elle a déjà reversé Ghannouchi. Notre mot d’ordre : « thawra hatta’l nasr ! » – Révolution jusqu’à la victoire !

La révolution égyptienne

La Tunisie a commencé la révolution arabe. Mais c’est un petit pays. L’Egypte, par contre, est un immense pays de 82 millions d’habitants situé au cœur du monde arabe. La classe ouvrière égyptienne, nombreuse et militante, a fait la preuve de son esprit révolutionnaire à de nombreuses reprises. La révolution égyptienne a indubitablement subi l’influence de la Tunisie. Mais elle avait d’autres facteurs : le chômage de masse, la dégradation des conditions de vie et la haine à l’égard d’un gouvernement corrompu et répressif.

La Tunisie a agi comme un catalyseur. Mais un catalyseur ne peut fonctionner que lorsque toutes les conditions nécessaires sont réunies. La révolution tunisienne a montré ce qui était possible. Mais il serait totalement faux de penser que l’exemple tunisien a été la seule, ou même la principale cause de la révolution égyptienne. Les conditions d’une explosion révolutionnaire étaient déjà mûres dans tous les pays de la région. Tout ce qu’il manquait, c’était l’étincelle mettant le feu aux poudres. La Tunisie a joué ce rôle.

Le mouvement en Egypte a montré l’incroyable héroïsme des masses. Les forces de sécurité ne pouvaient pas tirer à balles réelles contre les grandes manifestations de la place Tahrir, de peur qu’un scénario à la tunisienne ne se développe. Le régime imaginait qu’il serait suffisant, comme par le passé, de briser quelques crânes. Mais ça n’a pas été suffisant. L’humeur avait changé. La quantité s’était transformée en qualité. Les vieilles peurs avaient disparu. Cette fois-là, ce n’est pas le peuple qui a pris la fuite, mais la police.

Cela a conduit directement à l’occupation de la place Tahrir. Le régime a envoyé l’armée, mais les soldats ont fraternisé avec les masses. L’armée égyptienne est constituée de conscrits. Ses couches supérieures, ses généraux et officiers de haut rang, sont corrompus. Ils font partie intégrante du régime. Mais la base de l’armée est issue de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre. Enfin, les officiers les moins gradés viennent de la classe moyenne et sont exposés à la pression des masses.

Les partis d’opposition ont demandé des réformes, dont la dissolution du Parlement issu des élections frauduleuses de décembre, l’organisation de nouvelles élections et l’engagement de Moubarak – et de son fils – à ne pas se présenter à la présidentielle de septembre 2011. Mais en réalité, les dirigeants de l’opposition étaient très en retard sur le mouvement des masses, qui allait bien au delà de ces revendications. Le peuple révolutionnaire ne voulait accepter rien de moins que le départ immédiat de Moubarak et la complète dissolution de son régime.

Après avoir commencé par des revendications aussi élémentaires que la fin de l’état d’urgence, le limogeage du ministre de l’Intérieur et une augmentation du salaire minimum, les manifestants, enhardis par leur nombre, ont élevé leurs mots d’ordre à un niveau plus révolutionnaire : « A bas Moubarak », « Le peuple demande la chute du régime ! », ou simplement : « Dégage ! ». La conscience révolutionnaire des masses a avancé à pas de géant.

L’Etat et la révolution

Il serait futile de tenter d’expliquer les événements en Egypte et en Tunisie sans prendre en compte le rôle central des masses, qui en ont été la force motrice, du début à la fin. A présent, les « experts » bourgeois et petits-bourgeois essayent de minimiser le rôle des masses. Ils ne voient que ce qui se passe au sommet. Pour eux, il s’agit seulement d’un « coup », de « l’armée qui prend le pouvoir », etc. Les mêmes historiens bourgeois nous assurent que la révolution bolchevique en 1917 n’était qu’un « coup d’Etat ». Incapables de regarder l’Histoire en face, ils sont fascinés par son arrière-train.

Leur profonde « analyse » est superficielle, au sens le plus littéral du terme. Pour les philosophes bourgeois en général, les choses n’existent que dans leurs manifestations extérieures. C’est comme si on essayait de comprendre le mouvement des vagues sans prêter attention aux courants sous-marins des océans. Même après que les masses ont commencé à descendre dans les rues du Caire, Hilary Clinton a certifié que l’Egypte était stable. Elle se basait sur le fait que l’Etat et son appareil répressif demeuraient intacts. Mais deux semaines plus tard, ils étaient en ruine.

L’existence d’un puissant appareil d’Etat n’est pas une garantie absolue contre les révolutions. Cela peut même être le contraire. Dans une démocratie bourgeoise, la classe dirigeante dispose de certaines soupapes de sécurité qui permettent de l’alerter quand une situation menace d’échapper à son contrôle. Mais dans un régime dictatorial ou totalitaire, il n’y a pas d’opportunité, pour le peuple, de faire entendre sa voix à travers le système politique. C’est pourquoi des soulèvements peuvent se produire soudainement, sans prévenir, et prendre immédiatement une forme très radicale.

Les forces armées constituent la base principale du vieux régime égyptien. Mais comme n’importe quelle autre armée, elle reflète la société et subit l’influence des masses. Sur le papier, les armées d’Egypte et de Tunisie étaient de formidables forces. Mais une armée est composée d’être humains. Elle est sujette aux mêmes pressions que n’importe quelle autre couche sociale ou institution. Au moment de vérité, ni Moubarak, ni Ben Ali ne pouvaient utiliser l’armée contre le peuple.

Les armées de nombreux pays arabes sont différentes des armées du monde capitaliste avancé. Certes, comme toutes les armées capitalistes, elles sont en dernière analyse des corps d’hommes en armes pour défendre la propriété capitaliste. Mais elles sont aussi les produits de la révolution coloniale. Bien sûr, les généraux sont corrompus et réactionnaires. Mais la base des conscrits est issue de la classe ouvrière et de la paysannerie. La couche inférieure des officiers reflète la pression des masses, comme on l’a vu avec le coup d’Etat de Nasser en 1952.

La révolution a provoqué une crise de l’Etat. Les tensions étaient grandissantes entre l’armée et la police, comme entre la police et les manifestants. C’est pourquoi l’état-major de l’armée a finalement décidé de lâcher Moubarak. L’armée a été clairement secouée par les évènements. Sous la pression des masses, des fissures ont commencé à apparaître. Plusieurs officiers ont rejoint les manifestants, place Tahrir. Dans de telles circonstances, il ne peut être question d’utiliser l’armée contre le peuple révolutionnaire.

Le rôle de la classe ouvrière

Durant les deux premières semaines, la rue avait le pouvoir. Mais après l’avoir conquis, les dirigeants du mouvement ne savaient pas quoi en faire. L’idée selon laquelle il suffisait de rassembler le plus grand nombre de personnes place Tahrir était fausse. Premièrement, elle ignorait la question du pouvoir de l’Etat, alors qu’elle est centrale et décide des autres questions. Deuxièmement, c’était une stratégie passive, alors qu’une stratégie active et offensive était nécessaire.

En Tunisie, les manifestations de masse ont joué un rôle clé dans le renversement de Ben Ali. Cela a convaincu de nombreux Egyptiens que leur régime était aussi fragile. Le problème est que Moubarak refusait de partir. Malgré les efforts et le courage extraordinaires des manifestants, les rassemblements ne suffisaient pas à renverser Moubarak. Les manifestations de masse sont importantes, parce qu’elles arrachent le peuple à sa passivité, le remettent sur pieds et lui donnent conscience de sa propre force. Mais le mouvement ne pouvait pas être victorieux sans passer à un niveau de contestation supérieur. Cela ne pouvait être fait que par la classe ouvrière.

Le réveil de la classe ouvrière égyptienne s’est manifesté, ces dernières années, par une vague de grèves et de manifestations. C’est l’élément principal qui a préparé la révolution. C’est aussi la clé de ses futurs succès. L’entrée en scène de la classe ouvrière égyptienne a marqué un tournant dans le cours de la révolution. C’est ce qui l’a sauvée et a permis le renversement de Moubarak. A partir du 8 février, dans une ville après l’autre, les travailleurs égyptiens ont organisé des grèves et des occupations d’usines. Ils ont expulsé les patrons détestés et les dirigeants syndicaux corrompus.

La révolution est alors passée à la vitesse supérieure. Elle s’est transformée en une insurrection nationale. Que pouvons-nous en conclure ? Que les luttes pour la démocratie ne peuvent être victorieuses que si elles sont conduites par la classe ouvrière, par les millions de travailleurs qui produisent les richesses de la société, et sans lesquels pas une ampoule ne brille, pas un téléphone ne sonne et pas une roue ne tourne.

Le réveil de la nation égyptienne

Le marxisme n’a rien à voir avec le déterminisme économique. Certes, le chômage de masse et la pauvreté sont des questions explosives. Mais il y avait un autre élément dans l’équation révolutionnaire égyptienne, quelque chose de plus insaisissable, qui ne peut pas être quantifié, mais qui est une importante source de mécontentement : c’est le brûlant sentiment d’humiliation d’un ancien et grand peuple que l’impérialisme domine depuis des générations.

Le même sentiment général d’humiliation existe chez tous les peuples arabes. Ils ont été réduits en esclavage et opprimés par l’impérialisme – d’abord par l’impérialisme des puissances européennes, puis par le géant outre-Atlantique. Ce sentiment a trouvé une expression déformée dans le fondamentalisme islamique, qui désigne tout ce qui vient d’Occident comme diabolique. Mais la montée de l’islamisme était l’expression de l’incapacité de la gauche à offrir une authentique alternative socialiste aux problèmes brûlants des masses arabes.

Dans les années 50 et 60, le « socialisme arabe » et le pan-arabisme défendus par Gamal Abdel Nasser ont suscité, partout, l’enthousiasme des masses arabes. L’Egypte était une lueur d’espoir. Mais Nasser n’a pas poussé son programme jusqu’à sa conclusion logique. Puis, sous Anwar Sadat, le processus a fait marche arrière. L’Egypte est devenue un pion de la politique étrangère américaine. Pendant les trois décennies du règne de Moubarak, ces tendances se sont énormément accrues. Moubarak n’était que le valet des Etats-Unis et d’Israël. Il a honteusement trahi la cause palestinienne.

Ces 30 ou 40 dernières années, la psyché arabe était marquée par les déceptions, les défaites et les humiliations. Mais à présent, la roue de l’histoire a tourné de 180 degrés, et tout est en train de changer. L’idée de révolution prend une signification concrète. Elle saisit l’esprit de millions de travailleurs et devient une force matérielle. Des idées jusqu’alors très minoritaires mobilisent désormais des millions de personnes.

Les révolutions mettent toutes les tendances à l’épreuve. Elles clarifient énormément les choses. Du jour au lendemain, les idées du terrorisme individuel et du fondamentalisme islamique ont été balayées par le torrent révolutionnaire. La révolution a réveillé des idées à demi oubliées. Elle prépare un retour aux traditions du socialisme et du nationalisme pan-arabes, qui n’avaient jamais vraiment disparu de la conscience populaire. Ce n’est pas par hasard qu’on assiste au retour de vieux chants révolutionnaires. Des images de Nasser ont fait leur apparition sur les manifestations.

Nous assistons à une nouvelle renaissance arabe. Une nouvelle conscience est en train de se forger au cœur de la lutte. Dans de telles circonstances, les revendications démocratiques sont fondamentales. Un peuple longtemps asservi abandonne sa vieille mentalité passive et fataliste – et s’élève de toute sa véritable stature.

On peut voir le même processus dans toutes les grèves. De même qu’une grève est comme une révolution en miniature, une révolution est comme une grève de toute la société dirigée contre ses oppresseurs. Une fois qu’ils entrent en action, les hommes et les femmes redécouvrent leur dignité humaine. Ils prennent en main leur destin et luttent pour leurs droits. Ils disent : nous voulons être traités avec respect. C’est l’essence même de toute véritable révolution.

La révolution élève la conscience à un niveau supérieur. Elle coupe l’herbe sous le pied des réactionnaires qui ont désorienté les masses avec le poison du fondamentalisme religieux. Malgré la propagande mensongère des impérialistes, les islamistes n’ont joué pratiquement aucun rôle, sinon aucun, dans les révolutions égyptienne et tunisienne. La révolution méprise le sectarisme. Elle balaye les divisions nationales, ethniques et linguistiques. Elle unit les femmes et les hommes, les jeunes et les vieux, les musulmans et les chrétiens. Elle défend les minorités opprimées. Elle rassemble toutes les forces vives du monde arabe dans une lutte commune. Les hommes et les femmes peuvent alors relever la tête et dire avec fierté : « Nous ne serons plus des esclaves ».

Les limites de la spontanéité

Les révolutions tunisienne et égyptienne sont parties d’en bas. Elles n’ont été organisées par aucune des organisations politiques existantes. Celles-ci ont toutes été prises de court par un mouvement auquel elles ne s’étaient pas préparées. S’il y a bien une leçon à tirer de l’expérience de la révolution égyptienne, c’est que le peuple révolutionnaire ne peut compter que sur lui-même – sur ses propres forces, sa propre solidarité, son propre courage, sa propre organisation.

Face à la révolution égyptienne, la première comparaison qui vient à l’esprit, c’est l’insurrection de 1936 à Barcelone. Sans parti, sans direction, sans programme, les travailleurs espagnols ont marché sur les casernes avec un courage extraordinaire – et ont battu les fascistes. Ils ont sauvé la situation et auraient pu prendre le pouvoir. Mais précisément, la question est : pourquoi n’ont-ils pas pris le pouvoir ? La réponse, c’est qu’ils n’avaient pas de direction. Plus exactement, ils ont été abandonnés par les dirigeants anarchistes de la CNT en qui ils plaçaient leurs espoirs. Ceux qui ont des illusions dans l’anarchisme devraient étudier l’histoire de la révolution espagnole !

A première vue, les mouvements en Tunisie et en Egypte semblaient spontanés. Mais en réalité, ce n’est pas tout à fait exact. Ces mouvements n’étaient que partiellement spontanés. Ils ont été préparés par des groupes et des individus. Il y avait des dirigeants qui prenaient des initiatives, avançaient des mots d’ordre, organisaient des manifestations et des grèves.

On a beaucoup parlé du rôle de réseaux sociaux tels que Facebook et Twitter en Egypte, en Tunisie (et avant cela en Iran). Il est clair que les nouvelles technologies ont été extrêmement utiles aux révolutionnaires. Elles ont brisé le monopole de l’information dont jouissait l’Etat égyptien – entre autres. Mais ceux qui surestiment l’aspect purement technologique des choses défigurent l’essence réelle de la révolution, c’est-à-dire le rôle des masses et de la classe ouvrière en particulier. Certains veulent présenter la révolution comme l’affaire des classes moyennes, et comme exclusivement dirigée par des intellectuels et des spécialistes d’internet. Or c’est entièrement faux.

Premièrement, seule une petite partie de la population égyptienne a accès à internet. Deuxièmement, le régime a pratiquement mis hors service internet et les réseaux de téléphones portables pendant toute une période. Alors, le peuple a organisé des manifestations en utilisant une très vieille technologie : la parole humaine. C’est la même technologie qui fut utilisée lors des révolutions française et russe – qui, sans Facebook et Twitter, ont accompli un assez bon travail. Soit dit en passant, Al Jazeera a joué un rôle encore plus important que Facebook. Des millions de personnes pouvaient voir le déroulement des événements heure par heure.

Encore une fois, il n’est pas exact de dire que la révolution égyptienne n’avait pas de dirigeants. Il y avait une sorte de direction dès le début, qui consistait en une coalition informelle d’une douzaine de petits partis et de groupes de militants. Ce sont eux qui ont lancé l’appel à un « jour de colère » pour le 25 janvier. Sur Facebook, 80 000 internautes égyptiens ont répondu à l’appel et se sont engagés à manifester pour faire entendre leurs revendications.

En Egypte comme en Tunisie, les manifestations furent initialement convoquées par des groupes de jeunes. Ils ont joué le rôle dirigeant que l’opposition « officielle » ne jouait pas. Mais c’était seulement la partie immergée de l’iceberg. Les manifestants avaient la sympathie du public. Les manifestations se sont rapidement transformées en un soulèvement général contre le régime, à travers tout le pays. Il y avait donc une sorte de direction – sans idées très claires. Mais en Egypte comme en Tunisie, les organisateurs initiaux du mouvement ont été eux-mêmes surpris par l’ampleur du mouvement.

Il est vrai que le caractère « spontané » de la révolution lui assurait une certaine protection contre l’appareil d’Etat. Mais l’absence d’une direction adéquate est également une sérieuse faiblesse qui, par la suite, aura des effets très négatifs.

Le fait que les masses soient parvenues à renverser Ben Ali et Moubarak sans l’aide d’une direction consciente est une illustration frappante de l’énorme potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière. Mais cela n’épuise pas la question de la direction. On a vu en Iran quelles étaient les faiblesses d’un mouvement spontané. Malgré l’héroïsme des masses iraniennes, le régime résiste – pour le moment.

L’argument selon lequel « nous n’avons pas besoin de dirigeants » ne résiste pas à l’analyse la plus simple. Même pour une grève d’une demi-heure, dans une usine, il faut une direction. Les travailleurs élisent des délégués, parmi eux, pour les représenter et organiser la grève. Ceux qui sont élus ne le sont pas par hasard, mais parce qu’ils sont généralement les plus courageux, les plus expérimentés et les plus intelligents. Ils sont sélectionnés suivant ces critères.

La direction est importante – tout comme le parti. Un enfant de 6 ans comprend cette vérité, qui relève de l’ABC du marxisme. Mais après A, B et C, l’alphabet compte d’autres lettres. Certains « marxistes » s’imaginent que tant qu’un parti marxiste ne dirige pas la classe ouvrière, il ne peut y avoir de révolution. Cette idée ridicule n’a rien à voir avec le marxisme.

En 1917, Lénine disait que la classe ouvrière est toujours beaucoup plus révolutionnaire que le parti le plus révolutionnaire. L’expérience de la révolution russe l’a montré. Souvenons-nous qu’en avril 1917, Lénine a dû en appeler aux travailleurs par-dessus la tête du Comité Central Bolchevik, qui avait adopté une attitude conservatrice.

On observe la même mentalité conservatrice et la même méfiance aristocratique à l’égard des masses chez nombre de ceux qui se considèrent comme « l’avant-garde » – mais qui, dans la pratique, agissent comme un frein au mouvement dans les situations décisives. Il suffit de rappeler le triste rôle de cette « avant-garde » iranienne qui, en 2009, est restée passive face aux puissantes manifestations des masses révolutionnaires qui défiaient le régime.

Est-ce que les marxistes prétendent qu’une révolution est impossible en l’absence d’un parti marxiste dirigeant la classe ouvrière. Non, nous n’avons jamais dit cela. La révolution se développe suivant ses propres lois, indépendamment de la volonté des révolutionnaires. Une révolution éclate lorsque toutes les conditions objectives sont réunies. Les masses ne peuvent pas attendre que le parti révolutionnaire soit construit. Ceci dit, une fois que les conditions objectives sont réunies, le facteur subjectif – la direction – est effectivement décisif. Très souvent, cela fait la différence entre une victoire ou une défaite.

La révolution est une lutte de forces vivantes. Sa victoire n’est pas prédéterminée. A un certain stade, la révolution égyptienne a failli être battue. D’un point de vue tactique, le fait de rester place Tahrir n’était pas la meilleure option. Cela soulignait les limites des organisateurs. Les manœuvres de Moubarak – et notamment la mobilisation d’éléments déclassés, qui attaquaient les manifestants – auraient pu réussir. Seule l’intervention des masses, et particulièrement de la classe ouvrière, à travers la grève, a permis d’éviter une défaite.

Le problème de la direction

Au début d’une révolution, les masses n’ont jamais de plan défini. Elles apprennent à travers l’expérience de la lutte. Elles ne savent pas exactement ce qu’elles veulent, mais elles savent très bien ce qu’elles ne veulent pas. Et c’est suffisant pour pousser le mouvement vers l’avant.

La direction est un élément très important, dans une guerre. Cela ne signifie pas que c’est le seul élément. Les plus brillants dirigeants ne peuvent pas garantir de victoire si les conditions objectives ne sont pas favorables. Et parfois il est possible de remporter une bataille avec de mauvais généraux. Dans une révolution, qui est l’expression la plus haute de la guerre entre classes, les travailleurs ont l’avantage du nombre et le contrôle des secteurs clés de l’appareil productif. Mais la classe dirigeante a bien d’autres avantages.

Le rôle de l’Etat capitaliste est d’assurer la dictature d’une minorité d’exploiteurs sur la masse des exploités. La classe dirigeante contrôle plusieurs puissants leviers : la presse, la radio, la télévision, les écoles, les universités, la bureaucratie d’Etat – mais aussi les bureaucrates et policiers spirituels, dans les mosquées et les églises. En outre, elle possède une armée de conseillers professionnels, de politiciens, d’économistes et autres spécialistes dans l’art de la manipulation et de la tromperie.

Pour combattre cet appareil de répression, qui a été construit et perfectionné pendant des décennies, la classe ouvrière doit développer ses propres organisations, avec à leur tête des directions expérimentées et déterminées qui ont assimilé les leçons de l’histoire et qui sont préparées à toutes les éventualités. Prétendre qu’il est possible de vaincre la classe dirigeante et son Etat sans organisation ni direction, cela revient à proposer à des soldats de livrer bataille – sans entraînement, ni préparation – à une armée professionnelle dirigée par des officiers expérimentés.

Dans la plupart des cas, un tel conflit se soldera par une défaite. Mais même lorsque la révolution réussit à dominer l’ennemi, au terme de la première charge, cela ne suffit pas à garantir la victoire définitive. L’ennemi se ressaisira, se réorganisera, changera de tactique et préparera une contre-offensive qui sera d’autant plus dangereuse que les masses se laisseront bercer par l’idée qu’elles ont gagné la guerre. La phase de triomphe et de joie fera place à une phase d’extrême danger pour le sort de la révolution. A ce moment, l’absence d’une direction adéquate se révèle être le talon d’Achille de la révolution – sa faiblesse fatale.

La direction du mouvement comprenait différents éléments et différentes tendances idéologiques. En dernière analyse, cela reflète différents intérêts de classe. Au début, ce fait est dissimulé par l’appel général à « l’unité ». Mais le développement de la révolution donnera inévitablement lieu à un processus de différentiation interne. Les éléments pro-capitalistes et les « démocrates » des classes moyennes accepteront les miettes offertes par le régime. A un certain stade, ils déserteront la révolution et passeront dans le camp de la réaction. Cela a déjà commencé.

Au final, ce sont les éléments révolutionnaires les plus déterminés qui peuvent garantir la victoire de la révolution : ceux qui ne sont pas prêts à faire des compromis et veulent aller jusqu’au bout. De nouvelles explosions sociales sont inévitables. En fin de compte, l’un des deux camps devra l’emporter. La situation objective est mûre pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière. Ce qui manque, c’est le facteur subjectif – le parti et la direction révolutionnaires. La solution de ce problème est la question centrale de la révolution.

Intrigues au sommet

C’est la grève et l’insurrection nationale qui ont persuadé les généraux égyptiens que seul le départ de Moubarak pourrait calmer la rue et restaurer l’« ordre ». C’était et cela demeure leur principale obsession. Tous leurs discours sur la démocratie ont pour but de cacher ce fait. Les généraux faisaient partie de l’ancien régime. Ils étaient impliqués dans la corruption et la répression. Ils ont peur de la révolution comme de la peste et ne rêvent que de retour à la « normalité » – c’est-à-dire à l’ancien régime sous un autre nom.

La classe dirigeante a différentes stratégies pour battre la révolution. Si elle ne peut le faire par la force, elle aura recours à la ruse. Lorsque la classe dirigeante est menacée de tout perdre, elle est toujours prête à faire des concessions. Le renversement de Ben Ali et de Moubarak étaient de grandes victoires, mais c’était seulement le premier acte de la révolution.

Les représentants de l’ancien régime ont conservé leur position au pouvoir. Le vieil appareil d’Etat, l’armée, la police et la bureaucratie sont toujours en place. Les impérialistes manœuvrent avec les sommets de l’armée et les vieux dirigeants pour reprendre aux masses tout ce qu’elles ont conquis. Ils proposent un compromis, mais c’est un compromis qui garantirait leur pouvoir et leurs privilèges.

Peu à peu, les hommes du régime recouvrent leurs esprits. Ils commencent à se sentir plus confiants. Les manœuvres et les intrigues redoublent d’intensité. Ils s’appuient sur les sections les plus modérées de l’opposition. Les masses, de leur côté, ne veulent pas que le mouvement soit détourné par des politiciens professionnels et des carriéristes qui négocient avec les généraux comme des marchands dans un bazar. Mais elles se posent la question : comment faire avancer la révolution ? Que faire ?

Au fur et à mesure que la révolution se radicalisera, des éléments qui ont joué un rôle dirigeant, au départ, quitteront l’arène – ou passeront à l’ennemi. Cela traduit les différents intérêts de classe qui sont en jeu. Les pauvres, les chômeurs et les travailleurs n’ont aucun intérêt à maintenir l’ordre établi. Ils veulent balayer, non seulement Moubarak, mais l’ensemble du régime d’oppression, d’exploitation et d’inégalité. Mais les libéraux bourgeois voient dans la lutte pour la démocratie un moyen d’accéder à une carrière confortable, au Parlement ou ailleurs. Ils n’ont aucun intérêt à mener la révolution jusqu’à son terme ou à bouleverser les rapports de propriété existants.

Pour les bourgeois libéraux, le mouvement de masse n’est qu’un élément de leur négociation avec le gouvernement, une force dont ils peuvent menacer le régime pour qu’il leur jette quelques miettes supplémentaires. Ils trahiront la révolution. On ne peut pas avoir confiance en ces gens. A présent, El Baradei dit qu’il s’oppose aux amendements constitutionnels, que les élections devraient être reportées, que les conditions ne sont pas mûres – et ainsi de suite. Pour ces gens, ce n’est jamais l’heure de la démocratie. Pour les masses qui ont versé leur sang pour la révolution, l’heure de la démocratie, c’est tout de suite !

Aucune confiance aux généraux !

Aucune confiance aux dirigeants autoproclamés qui appellent à restaurer la « normalité » !

Le mouvement de masse doit se poursuivre !

Organiser et renforcer les comités révolutionnaires !

Balayer tous les supporters de l’ancien régime !

Pour la convocation immédiate d’une Assemblée Constituante !

Les Frères Musulmans

Certains – dont Khamenei, en Iran – affirment que le mouvement en cours est de nature religieuse et qu’il s’agit d’un « réveil islamique ». C’est très clairement faux. Même les principales figures religieuses, en Egypte, le reconnaissent. Ils craignent d’être marginalisés s’ils présentent la révolution comme un mouvement religieux. C’est un mouvement de toutes les religions – et donc d’aucune. Il n’y avait pas d’agressivité contre les chrétiens, sur les manifestations. Il n’y avait pas même un atome d’anti-sémitisme.

Le sectarisme religieux est un outil des réactionnaires pour semer la confusion. Les attaques de décembre 2010 contre les coptes chrétiens étaient clairement organisées par la police secrète, dans le but de détourner l’attention des masses des véritables problèmes. Ils recourent à la même tactique aujourd’hui. Ils fomentent des conflits entre coptes et musulmans pour tenter de diviser le mouvement et miner la révolution.

En Tunisie et en Egypte, le mouvement révolutionnaire est très largement séculaire et démocratique. Souvent, les islamistes en ont été délibérément écartés. L’idée que les Frères Musulmans étaient la « seule opposition réelle » est complètement fausse. Les revendications fondamentales des manifestants égyptiens étaient – et demeurent – des emplois, des logements, de la nourriture et des droits démocratiques. Cela n’a rien à voir avec l’islamisme. Par contre, ces revendications sont un pont vers le socialisme, qui a de profondes racines dans les traditions des mouvements ouvriers d’Egypte et d’autres pays arabes.

A gauche, quelques esprits égarés ont décrit les mouvements en Egypte et en Tunisie comme des révolutions des « classes moyennes ». Les mêmes, parfois, ont longtemps flirté avec des groupes réactionnaires tels que le Hezbollah, le Hamas et les Frères Musulmans. Ils essayent de justifier cette trahison du marxisme en présentant les dirigeants de ces organisations comme « anti-impérialistes ». Mais c’est archi-faux. Les dirigeants islamistes ne sont « anti-impérialistes » qu’en parole. Dans la pratique, ils constituent une tendance réactionnaire. Ils sont la cinquième roue du carrosse de ces régimes.

Les impérialistes ont essayé d’utiliser les islamistes comme un épouvantail pour semer la confusion et cacher la véritable nature de la révolution arabe. Ils disaient : « Attention, si Moubarak s’en va, Al-Qaïda prendra sa place. » Moubarak lui-même a dit au peuple égyptien que s’il s’en allait, l’Egypte serait « comme l’Irak ». Autant de mensonges. Le rôle des fondamentalistes et d’organisations comme les Frères Musulmans a été exagéré de façon grotesque. Ces organisations ne représentent pas le progrès. Elles prennent une posture anti-impérialiste, mais soutiennent les intérêts des propriétaires terriens et des capitalistes. En fin de compte, elles trahiront toujours la cause des travailleurs et des paysans.

Il est vrai que les Frères Musulmans sont divisés suivant une ligne de classe. La direction est contrôlée par des éléments conservateurs, des capitalistes et d’importants hommes d’affaires, alors qu’il y a, à la base, des éléments plus militants et qui viennent des couches opprimées de la population. Cependant, pour gagner ces éléments à la cause de la révolution, il ne faut pas faire des alliances avec leurs dirigeants capitalistes, mais, au contraire, les soumettre à la plus implacable critique et démontrer que leur posture anti-impérialiste et « sociale » est complètement creuse.

Par le passé, les Frères Musulmans étaient soutenus par la CIA, dans l’objectif de saper le virage à gauche du nationalisme de Gamal Abdel Nasser. Le fondamentalisme musulman est une création de John Foster Dulles et du Département d’Etat américain, dans le but de faire contrepoids à la gauche après la guerre de Suez de 1956. Mais quand Sadat et Moubarak sont devenus des agents américains, Washington n’avait plus besoin des fondamentalistes. Hilary Clinton, entre autres, a déclaré que les Frères Musulmans ne sont pas une menace et qu’il est possible de travailler avec eux. C’est l’indication claire d’un nouveau tournant. Après s’en être servis comme des épouvantails, les impérialistes pourraient les utiliser, une fois de plus, pour miner la révolution.

A l’origine, le Hamas et le Hezbollah ont été mis en place, eux aussi, pour lutter contre le FPLP et d’autres tendances de gauche en Palestine. Plus tard, la CIA s’est servie d’Oussama Ben Laden contre les forces soviétiques en Afghanistan. Et voilà que de nouveau, les impérialistes intriguent avec les dirigeants des Frères Musulmans – contre la révolution égyptienne. Mais les Frères Musulmans ne sont pas un mouvement homogène. D’ores et déjà, ils se divisent en différentes fractions, suivant des lignes de classe.

Dans les années 80, les dirigeants des Frères Musulmans ont bénéficié de la libéralisation économique – le programme de l’infitah, « ouverture » – au cours duquel Sadat, puis Moubarak, ont démantelé le secteur public et favorisé le capital privé. D’après une étude, les hommes d’affaires qui dirigent les Frères Musulmans ont contrôlé jusqu’à 40 % de l’économie égyptienne. Ils font partie du système capitaliste et ont tout intérêt à le défendre. Leur conduite n’est pas déterminée par le Coran, mais par des intérêts de classe.

Les fondamentalistes étaient aussi effrayés par les masses révolutionnaires que le régime lui-même. Au départ, les Frères Musulmans ont déclaré qu’ils ne négocieraient pas tant que Moubarak ne serait pas parti. Mais dès que le régime leur a fait un signe du doigt, ils ont changé d’avis. Lorsque les manifestants empêchaient les tanks d’occuper la place Tahrir, en se couchant sur le sol, l’un des dirigeants des Frères Musulmans est allé tenter de les en dissuader.

Notre attitude à l’égard de ces mouvements a été expliquée il y a longtemps par Lénine, lors du Deuxième Congrès de l’internationale Communiste :

« En ce qui concerne les Etats et les pays les plus arriérés, où prédominent des institutions féodales ou patriarcales-rurales, il convient d’avoir en vue :

1) La nécessité du concours de tous les Partis communistes aux mouvements révolutionnaires d’émancipation dans ces pays. […] L’obligation de soutenir activement ce mouvement incombe naturellement en premier lieu aux travailleurs de la métropole ou du pays dans la dépendance financière duquel se trouve le peuple en question ;

2) La nécessité de combattre l’influence réactionnaire et moyenâgeuse du clergé, des missions chrétiennes et autres éléments ;

3) La nécessité, enfin, de combattre le panislamisme, le panasiatisme et autres mouvements similaires qui tâchent d’utiliser la lutte émancipatrice contre l’impérialisme européen et américain pour consolider le pouvoir […] de la noblesse, des grands propriétaires fonciers, du clergé, etc. ; » (Lénine, Thèses sur la question nationale et coloniale, le 5 juin 1920).

Telle est la véritable position du marxisme vis-à-vis de ces tendances réactionnaires. Telle est la position que la TMI défend.

Défendre l’unité du peuple révolutionnaire !

Contre toute discrimination fondée sur la religion !

Aucun compromis avec des tendances réactionnaires et obscurantistes !

Liberté absolue de croire en une religion ou de ne croire en aucune !

Complète séparation de la religion et de l’Etat !

Les revendications démocratiques

Dans un premier temps, les révolutionnaires avancent des revendications démocratiques. Evidemment ! Après des décennies de dictature brutale, la jeunesse et les travailleurs ont soif de liberté. Naturellement, leur soif de démocratie peut être exploitée par des politiciens bourgeois qui ne s’intéressent qu’à leur future carrière dans un parlement « démocratique ». Mais nous devons nous saisir des revendications démocratiques et leur donner un contenu nettement révolutionnaire. Elles mèneront inévitablement à la revendication d’une transformation plus fondamentale de la société.

Pendant une grève ou une révolution, les gens se sentent comme des êtres humains ayant une dignité et des droits. Après toute une vie de silence forcé, ils découvrent qu’ils ont une voix. Des pauvres et des illettrés disent : nous allons nous battre ; nous ne quitterons pas les rues ; nous voulons des droits, nous voulons être traités avec respect. C’est quelque chose de profondément progressiste. C’est l’essence même d’une authentique révolution.

Il va sans dire que les marxistes subordonnent toujours les revendications démocratiques à l’objectif de la révolution socialiste. Dans la pratique, les revendications démocratiques les plus consistantes mèneront forcément à la question du pouvoir ouvrier et de la révolution socialiste. La révolution russe en est le meilleur exemple. En 1917, les bolcheviks ont pris le pouvoir sur la base du mot d’ordre : « La paix, le pain et la terre ». Aucune de ces revendications n’a de contenu socialiste. En théorie, elles peuvent être satisfaites sous le capitalisme. Dans la pratique, cependant, elles ne pouvaient être satisfaites qu’en rompant avec la bourgeoisie et en transférant le pouvoir dans les mains de la classe ouvrière.

Certains prétendent qu’il ne s’agit de rien de plus que d’un mouvement bourgeois-nationaliste. Cela révèle à quel point ils ignorent l’importance des revendications démocratiques dans de telles conditions. L’expérience de la révolution russe a montré l’importance d’une utilisation correcte (révolutionnaire) des revendications démocratiques. La revendication d’une Assemblée Constituante a joué un rôle très important dans la mobilisation révolutionnaire de larges couches de la population.

Tout en luttant pour les revendications démocratiques les plus avancées, les marxistes ne les considèrent pas comme des fins en soi, mais comme faisant partie intégrante d’une transformation radicale de la société. C’est ce qui distingue le point de vue marxiste du point de vue bourgeois-démocrate.

La tâche immédiate, en Egypte, était de renverser Moubarak et son régime corrompu. Mais ce n’est que le premier pas. Cela a ouvert les vannes et permis au peuple révolutionnaire de faire irruption. Chaque jour, il découvre ses forces dans la rue, ainsi que l’importance de l’organisation et des mobilisations de masse. C’est déjà une énorme conquête. Après 30 ans de dictature, ils ne permettront pas qu’on leur en impose une autre – ou toute intrigue visant à recréer l’ancien régime sous un autre nom. On le voit bien en Tunisie.

A présent qu’elles ont goûté à leur propre pouvoir, les masses ne se satisferont pas de demi-mesures. Elles savent qu’elles doivent ce qu’elles ont conquis à leur propre action. La lutte pour la démocratie complète permettra de construire d’authentiques syndicats et partis ouvriers. Mais cela posera aussi la question de la démocratie économique et de la lutte contre les inégalités.

Les mots d’ordre et les tactiques doivent être concrets. Ils doivent refléter la situation réelle et les véritables préoccupations des masses. Les tâches objectives de la révolution russe étaient démocratiques et nationales : renversement du tsar, démocratie, affranchissement de l’impérialisme, liberté de la presse, etc. Nous demandons la démocratie complète, l’abolition immédiate de toutes les lois réactionnaires et une Assemblée Constituante.

Oui, nous devons renverser le vieux régime : non seulement Ben Ali et Moubarak, mais aussi tous les « petits Ben Ali » et « petits Moubarak ». Il faut une grande purge au sein de l’appareil d’Etat. Pas une seule personnalité liée au vieux régime ne doit faire partie du gouvernement. Pourquoi le peuple révolutionnaire, qui a tout sacrifié dans la lutte, laisserait-il le pouvoir à ceux qui n’ont joué aucun rôle, même sous la forme d’un gouvernement provisoire ? Il faut prendre un grand balai et les balayer tous ! C’est notre première revendication. On ne peut pas accepter moins que cela.

Mais même cela est insuffisant. Pendant des décennies, ces gens ont volé et pillé le pays. Ils vivaient dans le luxe pendant que le peuple était réduit à la misère. A présent, ils doivent rendre chaque centime qu’ils ont volé au peuple. Nous demandons la confiscation immédiate des richesses et des propriétés de ces parasites. Et nous demandons l’expropriation des impérialistes qui les soutenaient. Ainsi, les revendications démocratiques mènent directement à des revendications socialistes.

La démocratie n’a pas la même signification pour tout le monde. Les pauvres ne luttent pas pour la démocratie dans le but d’élire des carriéristes à des positions dans l’appareil d’Etat, mais dans le but de résoudre leurs problèmes les plus brûlants : le manque d’emplois, de logements, le prix élevé de la vie, etc. Or ces problèmes économiques et sociaux sont trop profonds pour être réglés par un gouvernement capitaliste.

La démocratie n’est qu’un mot creux si elle se refuse à mettre la main sur les richesses obscènes de la clique dirigeante. Si elle est menée à son terme, la lutte pour la démocratie doit inévitablement mener à l’expropriation des banquiers et des capitalistes. Elle doit mener à l’établissement d’un gouvernement ouvrier et paysan. Sous Moubarak, les capitalistes égyptiens ont aidé l’impérialisme à piller les richesses du pays et à exploiter les travailleurs. Nous demandons l’expropriation des impérialistes au profit du peuple.

Pour l’abolition immédiate de toutes les lois réactionnaires !

Pour la complète liberté de réunion ! Pour le droit de s’organiser et de faire grève !

Pour une Assemblée Constituante révolutionnaire !

Pour la confiscation de toutes les richesses volées par le vieux régime !

Pour l’expropriation des impérialistes !

L’Assemblée Constituante

S’il y avait en Egypte un parti comme le Parti Bolchevik, la question du pouvoir serait directement posée. Mais en l’absence d’une direction dotée d’un plan clair, la révolution peut connaître toutes sortes de vicissitudes. Pour le moment, la vague révolutionnaire n’a toujours pas reflué. Mais les masses ne peuvent pas rester dans un état de mobilisation permanente. Elles doivent travailler et gagner leur vie. La lave révolutionnaire refroidira temporairement. La révolution passera par une phase de démocratie bourgeoise.

Dans un tel contexte, les revendications démocratiques ont une énorme importance. Elles sont un puissant levier pour mobiliser de larges couches de la population. Nous devons lutter pour tous les droits démocratiques : le droit de grève, le droit de vote, etc. Il est dans l’intérêt des travailleurs d’avoir le plus de liberté possible pour développer la lutte des classes. Il n’est pas indifférent, pour un travailleur, de vivre sous un régime totalitaire ou d’avoir des droits démocratiques fondamentaux.

Le mot d’ordre pour une Assemblée Constituante – comme tous les mots d’ordre – n’existe pas en dehors du temps et de l’espace. Dans les cas de la Bolivie et de l’Argentine, par exemple, nous nous y opposons. Mais ce mot d’ordre est correct dans le cas de l’Egypte et de la Tunisie. Les mots d’ordre doivent refléter les conditions concrètes de la lutte des classes et de son développement.

Pendant les soulèvements d’octobre 2003 et de mai-juin 2005, en Bolivie, le mot d’ordre pour une Assemblée Constituante était contre-révolutionnaire. Pourquoi ? Les travailleurs boliviens avaient organisé deux grèves générales et deux insurrections. Ils avaient constitué des formes de soviets : les Assemblées Populaires et les cabildos abiertos(meetings de masse). Ils auraient pu prendre le pouvoir. Les dirigeants de la COB (syndicat) auraient pu balayer le gouvernement et se placer à la tête du pays. Dans ces conditions concrètes, le mot d’ordre pour une Assemblée Constituante était une trahison. Il détournait l’attention des masses de leur tâche centrale – la conquête du pouvoir – vers les canaux du parlementarisme.

A l’époque, la Banque Mondiale et le Bureau pour les Initiatives de Transitions (une institution américaine) ont défendu l’idée d’une Assemblée Constituante en Bolivie. Cela souligne la nature contre-révolutionnaire de ce mot d’ordre. Il faut encore ajouter un petit détail : la Bolivie était déjà une démocratie bourgeoise. Dans le cas de l’Argentine, certains groupes de gauche ont avancé ce mot d’ordre après les émeutes de décembre 2001. Mais comme l’Argentine, elle aussi, était déjà une démocratie bourgeoise, ce mot d’ordre revenait à dire : « Nous n’aimons pas notre parlement bourgeois. Nous en voulons un autre à la place. »

Il faut être complètement aveugle pour ne pas voir que cela n’a rien à voir avec la situation en Egypte et en Tunisie. Après des décennies de dictature, il y aura forcément de grandes illusions dans la démocratie – et pas seulement au sein de la petite bourgeoisie. Cela détermine notre attitude. Nous sommes pour la démocratie, mais nous disons qu’il faut la démocratie complète. Nous sommes pour une nouvelle Constitution ; il faut donc une Assemblée Constituante. Mais nous ne faisons pas confiance à l’armée égyptienne pour la convoquer, et par conséquent cette lutte doit se poursuivre dans la rue.

Les marxistes n’ont pas une attitude mécanique à l’égard des revendications démocratiques, qui sont toujours subordonnées aux intérêts généraux de la révolution. Nous ne partageons pas l’attitude superstitieuse des petit-bourgeois vis-à-vis de la démocratie formelle. L’approfondissement de la révolution dévoilera les limites de la démocratie bourgeoise. A travers leur expérience, les travailleurs en viendront à comprendre la nécessité de prendre le pouvoir en main. Mais avant de comprendre les limites de la démocratie bourgeoise, ils doivent passer par son école. Cela suppose une lutte sérieuse pour les revendications démocratiques les plus avancées.

Le Conseil Militaire a soumis à référendum des amendements à la Constitution, rédigés par des « experts ». C’est complètement anti-démocratique. La Constitution de Moubarak ne peut pas être amendée. Elle doit être rejetée. Une Assemblée Constituante démocratique et révolutionnaire doit être convoquée pour discuter d’une nouvelle Constitution.

Le peuple révolutionnaire ne doit pas laisser le pouvoir à des généraux qui ont soutenu Moubarak jusqu’à la dernière minute. Les travailleurs ne peuvent faire confiance aux chefs de l’armée ou à un conseil d’« experts » désignés par eux et censés rédiger une Constitution démocratique. Nous sommes pour une Assemblée Constituante : un organe démocratiquement élu qui élaborera une nouvelle Constitution. C’est une revendication démocratique élémentaire.

Reste la question : qui convoquera l’Assemblée Constituante ? Là encore, on ne peut laisser les chefs de l’armée en décider. Donc la lutte doit se poursuivre dans les rues, les entreprises, dans la jeunesse et parmi les chômeurs – jusqu’à la victoire complète du combat pour la démocratie.

En Egypte comme en Tunisie, la situation est analogue à la Russie de 1905 et 1917 (et non à la Bolivie de 2003 et 2005). Nous devons utiliser les revendications démocratiques pour poser la question centrale du pouvoir ouvrier. Nous disons aux jeunes et aux travailleurs : « Vous voulez la démocratie ? Nous aussi ! Mais ne faites pas confiance à l’armée ou à El Baradei. Luttons pour une véritable démocratie ! » Aujourd’hui, en Egypte, en Tunisie et en Iran, la revendication d’une Assemblée Constituante est très appropriée.

Les travailleurs égyptiens ont déjà tiré les bonnes conclusions. C’est ce que révèle la déclaration des travailleurs de la métallurgie à Helwan qui, pendant la lutte, ont formulé les revendications suivantes :

1- Départ immédiat de Moubarak, de toutes les personnalités et de tous les symboles du régime;

2- Confiscation des richesses et propriétés – dans l’intérêt des masses – de toutes les figures du régime, ainsi que de tous ceux dont la corruption est avérée ;

3- Tous les travailleurs affiliés aux syndicats contrôlés par le régime doivent en démissionner, en vue de créer des syndicats indépendants. Il faut préparer des conférences syndicales pour former de nouveaux syndicats.

4- La renationalisation des entreprises publiques qui ont été privatisées ou fermées, et la formation d’une nouvelle administration de ces entreprises, impliquant les travailleurs et les techniciens.

5- La formation de comités de travailleurs, dans toutes les entreprises, pour administrer la production et contrôler les prix et les salaires.

6- La convocation d’une Assemblée Constituante pour rédiger une nouvelle Constitution et l’élection de conseils populaires – sans attendre des négociations avec le vieux régime.

Ces revendications sont absolument correctes. Elles montrent un très haut niveau de conscience révolutionnaire et coïncident entièrement avec le programme des marxistes. Ce programme donne à la révolution égyptienne tout ce dont elle a besoin pour vaincre.

Les syndicats

La révolution pose la nécessité de s’organiser. Les syndicats sont partout et toujours la forme d’organisation la plus élémentaire des travailleurs. Sans organisation, la classe ouvrière n’est qu’une matière première pour l’exploitation. En conséquence, la construction et le renforcement des syndicats sont une priorité absolue.

En Egypte et en Tunisie, les syndicats étaient étroitement liés au vieux régime répressif. Ils faisaient partie intégrante de l’Etat. Les directions étaient corrompues – et de nombreux dirigeants étaient membres du parti au pouvoir. Leur principale fonction était de faire la police dans la classe ouvrière. Cependant, la base syndicale était constituée d’honnêtes travailleurs.

Même dans les démocraties bourgeoises, les directions syndicales ont tendance à fusionner avec l’Etat. Mais l’histoire montre que lorsque la classe ouvrière entre en action, même les syndicats les plus corrompus et bureaucratisés subissent la pression de la classe ouvrière et sont transformés au cours de la lutte. Soit les vieux dirigeants s’adaptent et reflètent la pression des travailleurs, soit ils sont remplacés par d’autres dirigeants, prêts à se mettre à la tête du mouvement.

En Tunisie, les dirigeants nationaux de l’UGTT étaient complices du régime de Ben Ali. Ils étaient prêts à participer au gouvernement provisoire formé par Ghannouchi. Ils ont dû y renoncer sous la pression des travailleurs. Mais aux niveaux local et régional, l’UGTT a joué un rôle dirigeant dans la révolution. Dans certains endroits, comme à Redeyef, l’UGTT a de facto pris le pouvoir. Ailleurs, les structures syndicales ont joué un rôle clé dans l’organisation du mouvement révolutionnaire, via les comités révolutionnaires. Cela montre le rôle vital des syndicats comme véhicules de la révolution.

Il faut complètement nettoyer l’UGTT, à tous les niveaux, la purger de tous les bureaucrates liés à l’ancien régime – à commencer par son secrétaire général, Abdessalem Jerad, qui joue ouvertement le rôle de briseur de grèves. Un congrès national extraordinaire doit être immédiatement convoqué par les directions locales et fédérales qui sont animées par des militants de gauche. La démocratisation de l’UGTT, en vue de la placer au cœur du mouvement révolutionnaire, rencontrerait un écho enthousiaste parmi les travailleurs. Si les jeunes et les travailleurs ont été capables de renverser Ben Ali et Ghannouchi, ils devraient être en mesure d’écarter aussi les bureaucrates syndicaux corrompus qui les soutenaient.

En Egypte, les bureaucrates syndicaux étaient incapables d’empêcher la vague de grèves qui fut l’école préparatoire de la révolution. Les travailleurs égyptiens se mobilisent contre les dirigeants corrompus et luttent pour créer des syndicats démocratiques et militants. Ils font preuve d’un instinct de classe infaillible. La lutte démocratique n’est pas confinée à l’arène politique. Elle doit entrer dans les syndicats et les entreprises.

En Egypte, il semble qu’on s’oriente vers la constitution d’une Fédération Egyptienne des Syndicats Indépendants. Dans les conditions révolutionnaires actuelles, elle peut devenir la principale organisation des travailleurs égyptiens. Cependant, il serait erroné d’abandonner la lutte à l’intérieur des anciens syndicats, qui disposent toujours d’une assise de masse. Dans certains cas, des entreprises et des secteurs entiers verront surgir de nouveaux syndicats. Dans d’autres cas, les travailleurs prendront le contrôle des vieilles structures officielles.

Les capitalistes et les impérialistes comprennent l’importance centrale des syndicats. Ils y enverront leurs agents pour corrompre et tromper les travailleurs, pour les empêcher de s’orienter vers des idées révolutionnaires et socialistes. La CIA a des liens étroits avec l’AFL-CIO, la social-démocratie européenne et les prétendues Internationales syndicales. Ils s’efforceront également de contrôler le mouvement syndical égyptien.

Les travailleurs doivent se méfier de ces « amis » qui viennent pour les corrompre et miner la révolution de l’intérieur. Ils doivent aussi se méfier des soi-disant ONG qui ne sont que des agences déguisées de l’impérialisme. Le rôle de nombreuses ONG est de détourner les travailleurs de la voie révolutionnaire, de les noyer sous un millier de tâches triviales (charité, etc.) et de transformer des travailleurs révolutionnaires en bureaucrates bien payés. C’est un poison qui peut corrompre le mouvement ouvrier.

Le rôle des syndicats n’est pas de consolider le capitalisme, mais de le renverser. Notre tâche principale est de lutter pour l’amélioration des salaires et des conditions de vie et de travail. Nous devons lutter pour chaque acquis ou progrès social, aussi petit soit-il. Mais nous devons aussi comprendre qu’il ne sera pas possible de satisfaire nos revendications fondamentales tant qu’une oligarchie parasitaire possèdera la terre, les banques et les principales industries.

Dans la lutte contre l’ancien régime, les syndicats se sont liés à d’autres couches de la société : les chômeurs, les femmes, la jeunesse, les paysans et les intellectuels. C’est absolument nécessaire. La classe ouvrière doit se placer à la tête du pays et diriger la lutte contre toutes les formes d’injustice et d’oppression.

Le peuple révolutionnaire établit toutes sortes de comités d’action. C’est une étape nécessaire pour donner au mouvement révolutionnaire une forme cohérente et organisée. Cependant, de tels comités ne doivent pas remplacer les syndicats, qui doivent rester la forme d’organisation fondamentale du mouvement ouvrier.

Les syndicats sont des écoles révolutionnaires. Ils joueront un rôle clé dans le renversement du vieux régime et la construction d’une société nouvelle, socialiste, dans laquelle ils connaîtront un puissant développement. Ils joueront alors un rôle déterminant dans la planification démocratique de l’économie et la direction de la société.

Les syndicats doivent être construits et transformés en d’authentiques organisations de lutte !

Tous les bureaucrates et éléments corrompus doivent être purgés des syndicats !

Pour des syndicats démocratiques : élection et révocabilité de tous les officiels !

Aucun contrôle de l’Etat sur les syndicats ! Ils doivent être contrôlés par les travailleurs !

Pour le contrôle ouvrier de l’industrie ! Pour une planification socialiste et démocratique de la production !

Le rôle de la jeunesse

Le grand révolutionnaire et martyr allemand Karl Liebknecht disait : « La jeunesse est la flamme de la révolution socialiste  ». Ces mots peuvent être inscrits sur la bannière de la révolution arabe. La jeunesse a joué un rôle clé à toutes les étapes. Les manifestants qui ont déferlé dans les rues d’Egypte et de Tunisie étaient principalement de jeunes gens privés d’emploi et d’avenir. Certains étaient diplômés, d’autres venaient des bidonvilles.

Dans tous les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du nord, la majorité de la population est jeune. La jeunesse subit les pires effets de la crise du capitalisme. 70 % des moins de 25 ans n’ont pas d’emploi en Tunisie, 75 % en Algérie et 76 % en Egypte. La situation est semblable dans tous les autres pays de la région.

Sans travail, les diplômés n’ont pas la possibilité de se marier et de se loger. Cela souligne l’impasse du capitalisme. Ces pays ont besoin de médecins, de professeurs, d’ingénieurs, mais il n’y a pas d’emploi. Il y a dans la jeunesse un profond sentiment d’injustice et une colère brûlante à l’égard d’un système qui la prive de tout avenir et d’un régime corrompu qui s’engraisse au détriment du peuple.

Le seul espoir de ces jeunes est de combattre pour un changement fondamental de société. Ils ont balayé toute peur et se préparent à se battre pour la liberté et la justice. En Tunisie, la jeunesse révolutionnaire a organisé une marche massive en direction des bureaux du premier ministre, à Tunis. Elle a organisé un campement de masse sur l’esplanade de la Kasbah. Les étudiants ont manifesté en grand nombre pour une Assemblée Constituante et contre le gouvernement de Ghannouchi. La jeunesse a été le catalyseur du mouvement qui a renversé Ghannouchi, fin février. En Egypte, nous observons le même phénomène. Les dirigeants des manifestations sont majoritairement des jeunes sans-emploi et sans avenir.

L’Histoire se répète. En 1917, les Mencheviks accusaient les Bolcheviks de n’être qu’une « bande de gamins », ce qui n’était pas complètement faux. L’âge moyen des militants bolcheviks était très bas. La jeunesse est toujours la première à réagir, car elle n’a pas les préjugés, les peurs et le scepticisme des générations précédentes.

La jeunesse de tous les pays est ouverte aux idées révolutionnaires. Nous devons aller vers la jeunesse ! Si nous nous adressons à elle avec les idées du marxisme révolutionnaire et de l’internationalisme ouvrier, elle nous répondra avec enthousiasme.

Du travail pour tous !

Tous les jeunes doivent avoir un travail ou bénéficier d’études gratuites !

A travail égal, salaire égal !

A bas le harcèlement policier !

Pleins droits démocratiques dès 16 ans, y compris le droit de vote !

Le rôle des femmes

Les masses ont senti leur force collective et n’ont plus peur : c’est le facteur décisif. L’humeur de défiance s’est propagée des éléments les plus énergiques, les plus jeunes et les plus déterminés vers des couches plus inertes et plus prudentes de la population.

La participation active des femmes est l’un des aspects les plus enthousiasmants des révolutions en Egypte et en Tunisie. La vieille soumission disparaît. A Alexandrie, des femmes âgées jetaient de la vaisselle sur la police depuis les balcons de leur appartement. Sur les manifestations, de jeunes étudiantes en jeans luttaient aux côtés des femmes portant le hijab. Ces dernières années, déjà, les travailleuses du textile avaient joué un rôle clé dans les grèves massives de Mahalla al Kubra, qui ont préparé le soulèvement révolutionnaire.

Les femmes ont toujours été à l’avant-garde des révolutions. Ces femmes du Bahreïn manifestant sans crainte, certaines voilées, d’autres non, sont une image saisissante de la révolution en action. Elles prolongent la tradition des femmes héroïques de Paris, en 1789, et de Petrograd en 1917.

Le réveil politique des femmes est le signe sûr d’une révolution. La société ne peut pas avancer et prospérer tant que les femmes sont enchaînées. Ce n’est pas un hasard si les réactionnaires, en Egypte, ont attaqué la manifestation du 8 mars, place Tahrir. La révolution arabe recrutera ses combattants les plus courageux parmi les femmes. La complète émancipation des femmes est le premier devoir de la révolution. La place des femmes n’est pas la cuisine, mais la rue, aux côtés des hommes. Elles sont les plus téméraires et elles ont beaucoup à gagner.

A bas la discrimination et l’inégalité !

Complète égalité économique, politique et sociale !

Contre toutes les lois qui entérinent les discriminations !

Les travailleuses doivent être organisées dans des syndicats libres et démocratiques, indépendants de l’Etat !

A travail égal, salaire égal !

La révolution n’est pas terminée

La révolution a commencé ; elle n’est pas terminée. Sa victoire n’est pas garantie. C’est une lutte de forces vivantes. La révolution n’est pas une pièce en un acte. C’est un processus complexe avec de nombreux flux et reflux. Le renversement de Moubarak, Ben Ali et Ghannouchi marquent la fin de la toute première phase. Mais la révolution n’a pas encore réussi à complètement renverser le vieux régime – qui, de son côté, n’a pas encore réussi à reprendre le contrôle de la situation.

La révolution russe de 1917 a duré neuf mois, de février à octobre. Les travailleurs ont fini par prendre le pouvoir sous la direction du Parti Bolchevik. Cependant, la révolution russe n’était pas une ligne droite. Elle est passée par toutes sortes de vicissitudes et de contradictions. Il y eut une période de réaction ouverte en juillet et août. Lénine a dû fuir en Finlande. Le Parti Bolchevik était pratiquement illégalisé. Mais ce n’était que le prélude d’une nouvelle avancée de la révolution, qui a culminé dans l’insurrection d’octobre.

En Espagne, la chute de la monarchie, en 1931, a été suivie d’un intense développement de la lutte des classes. Puis la défaite de la Commune des Asturies, en octobre 1934, a mené à une période de réaction, les « deux années noires » de 1935-1936 (Biennio Negro). Mais ce n’était que le prélude d’une nouvelle phase de la révolution, avec la victoire du Front Populaire aux élections de 1936, puis la guerre civile – et finalement la défaite et le fascisme.

Les masses égyptiennes et tunisiennes se battent pour des revendications qu’aucun gouvernement bourgeois ne pourra satisfaire. Comme les travailleurs russes en 1917, les travailleurs d’Egypte et de Tunisie ont réussi à renverser des tyrans, mais ils n’ont pas atteint leur objectif central. La véritable lutte est à venir. Qu’est-ce qui a été résolu par la chute de Moubarak et de Ben Ali ? Rien de fondamental. Les travailleurs luttent pour du pain, des emplois, des logements – et non pour une parodie de démocratie bourgeoise dans laquelle tout change pour que rien ne change.

Les masses puisent de sérieuses leçons dans une douloureuse expérience. Tôt ou tard, elles en viendront à la conclusion que la classe ouvrière doit prendre le pouvoir. Un processus de différenciation se développera. Il a déjà commencé. Dans les comités révolutionnaires, les éléments les plus modérés, qui dirigeaient la première phase du mouvement, et qui ont des illusions dans l’armée, sont contestés par de nouvelles couches de jeunes et de travailleurs qui s’opposent au compromis. Ils craignent qu’on leur reprenne, au moyen de subterfuges, ce qu’ils ont conquis par leur sang. Et ces craintes sont parfaitement fondées.

Avec la chute de Moubarak, la révolution égyptienne a remporté sa première grande victoire. Mais aucun des problèmes fondamentaux de la société égyptienne n’a été résolu. Les prix continuent d’augmenter, des sans-abri dorment dans des cimetières et 10 % de la force de travail est toujours au chômage – officiellement, car c’est beaucoup plus en réalité.

Il y a une profonde colère contre les inégalités et la corruption généralisée qui est le trait dominant de l’ancien régime. Des milliards de dollars d’argent public font défaut. Les sommes pillées par la seule famille Moubarak sont estimées entre 40 et 80 milliards de dollars. Dans le même temps, 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Il est impossible de prévoir la suite des événements avec certitude et précision. Ce qui est certain, c’est que la révolution s’étendra sur une longue période et connaîtra toutes sortes de flux et de reflux. A ce stade, les masses sont grisées par l’idée de démocratie. Le sentiment d’euphorie touche même les éléments les plus avancés et révolutionnaires. Cette phase d’illusions démocratiques et constitutionnelles est inévitable, mais elle ne durera pas. La révolution éveille à la vie politique de nouvelles couches sociales jusqu’alors inertes et « arriérées ». Elles demandent leurs droits. Quand les gens disent : « thawra hatta’l nasr » (révolution jusqu’à la victoire), ce ne sont pas des paroles en l’air.

Toutes les tentatives de restaurer l’équilibre politique seront vaines, parce que le capitalisme en crise ne pourra pas satisfaire les besoins les plus élémentaires de la population. Il y aura une série de régimes bourgeois instables. Les gouvernements tomberont les uns après les autres. Cela présente un danger. Lorsque la lutte des classes est dans une impasse, l’Etat tend à s’élever au-dessus de la société et à acquérir une relative indépendance. Il en résulte un régime militaire instable – c’est-à-dire un régime bonapartiste. L’existence même d’un tel régime suffit à souligner que la révolution commencée le 25 janvier n’est pas terminée. Elle connaîtra de nombreux revirements avant son dénouement final.

Malgré les appels à l’« unité nationale », la société égyptienne est toujours plus polarisée. La révolution a encore d’énormes réserves de soutien dans la population. Les étudiants se mobilisent dans les universités. Les travailleurs font grève, occupent leurs usines et expulsent les patrons haïs et les dirigeants syndicaux corrompus. En seulement trois jours de grève, les travailleurs du pétrole ont obtenu la satisfaction de toutes leurs revendications, y compris la démission du ministre du pétrole. Cela montre où réside le véritable pouvoir.

Le régime militaire en Egypte ne peut pas se maintenir longtemps. Toutes les tentatives de restaurer l’« ordre » ont échoué. L’armée a tenté de mettre un terme aux grèves, mais les grèves continuent. Loin de se replier, le mouvement des travailleurs est ascendant. Que peuvent faire les généraux ? S’ils n’ont pas pu utiliser leurs tanks pour écraser l’insurrection, ils pourront encore moins noyer des grèves dans le sang – alors qu’ils sont censés être à la tête d’un régime démocratique.

Les généraux devront passer le pouvoir à un gouvernement civil (bourgeois). Ce sera la contre-révolution sous un masque démocratique. Mais la contre-révolution ne parviendra pas facilement à restaurer la stabilité. Pour les travailleurs, la démocratie n’est pas un mot creux. Si la démocratie ne mène pas à une amélioration du niveau de vie, à des emplois et des logements, à quoi bon avoir lutté ?

Si tout ceci s’était déroulé il y a dix ans, la classe dirigeante aurait peut-être réussi à consolider une sorte de régime démocratique bourgeois. Le boom économique mondial lui aurait donné une marge de manœuvre. Mais à présent, il y a une crise mondiale du capitalisme. C’est à la fois une cause de la révolution et un facteur qui ne permettra pas d’en finir facilement avec elle. Le système capitaliste n’a rien à offrir aux masses. Même en Europe et aux Etats-Unis, il ne peut pas garantir des emplois et un niveau de vie décent. Comment le pourrait-il en Egypte ?

La mobilisation des travailleurs qui font grève, occupent leurs entreprises et expulsent leurs managers est d’une énorme importance. Cela signifie que la révolution entre dans les entreprises. Les travailleurs égyptiens passent de la lutte pour la démocratie dans le pays à la lutte pour la démocratie sur leur lieu de travail. La classe ouvrière participe à la révolution sous sa propre bannière. Elle lutte pour ses propres revendications. C’est un facteur décisif pour le futur de la révolution.

Les travailleurs protestent contre la corruption et les bas salaires. Ils se révoltent contre les managers appointés par l’Etat et constituent des comités révolutionnaires. C’est exactement ce qu’il faut faire.

Des analystes bourgeois soulignent que beaucoup de ces grèves sont de nature économique. Evidemment ! La classe ouvrière lutte pour ses revendications immédiates. Autrement dit, elle voit dans la révolution un moyen de lutter non seulement pour la démocratie, mais aussi pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail – une meilleure vie. Elle lutte pour ses propres revendications de classe. Et cette lutte ne cessera pas sous prétexte que Moubarak n’occupe plus le palais présidentiel.

Pour une démocratie ouvrière !

A Suez, pendant 4 ou 5 cinq jours, l’Etat s’est complètement effondré. Comme en Tunisie, des comités révolutionnaires et des checkpoints armés ont été constitués pour défendre le peuple. Ceci souligne que les soviets (conseils ouvriers) ne sont pas une invention arbitraire des marxistes, mais qu’ils émergent spontanément au cours de la révolution.

Cela pose la question centrale de l’Etat. La révolution a mis à genoux le vieil appareil d’Etat. Il doit être remplacé par un nouveau pouvoir. Il y a un pouvoir, dans la société, qui est plus puissant que tout Etat : le pouvoir du peuple révolutionnaire. Mais il doit être organisé. En Egypte comme en Tunisie, il y a des éléments de double pouvoir (vieil appareil d’Etat/comités révolutionnaires). Des villes et des régions entières sont passées sous le contrôle de ces comités révolutionnaires.

En Tunisie, l’organisation révolutionnaire du peuple est allée encore plus loin qu’en Egypte. Souvent organisée autour des structures locales de l’UGTT, la démocratie révolutionnaire a pris la direction de la société dans un certain nombre de villes et de régions, après avoir expulsé les anciennes autorités liées au RCD. La classe dirigeante parle de « chaos » et d’« insécurité ». Mais en réalité, le peuple organisé garantit l’ordre et la sécurité. Cependant, il s’agit d’un ordre différent – d’un ordre révolutionnaire.

Après l’effondrement des forces de police égyptiennes, le 28 janvier, le peuple a pris l’initiative de protéger les quartiers. Armés de couteaux, de machettes et de battes, ils contrôlaient les voitures. Dans certains endroits, ils organisaient la circulation, etc. Il s’agissait d’embryons de milices ouvrières – une alternative à l’Etat de l’ancien régime.

De même que des comités révolutionnaires ont été constitués pour défendre le peuple contre les éléments criminels, lorsque la police a quitté les rues, il faut à présent les développer et les généraliser pour organiser la révolution. Pour défendre et étendre la révolution, il faut former partout des comités de défense !

Des comités élus pour la défense de la révolution existent déjà dans certains endroits. Il en faut dans toutes les usines, tous les quartiers et tous les villages. Ces comités révolutionnaires devraient être liés au niveau local, régional et national. Ce serait le point de départ d’un futur gouvernement ouvrier et paysan – une alternative réelle au régime dictatorial pourri.

Complète purge et démocratisation de l’armée !

Pour la constitution de comités de soldats.

A bas les généraux corrompus et réactionnaires !

Dissolution immédiate de l’appareil répressif.

Tous les coupables d’actes de terreur contre le peuple doivent être jugés et punis.

Pour l’armement général du peuple.

Pour la constitution d’une milice populaire.

Pour un gouvernement ouvrier et paysan !

La révolution n’a pas de frontières

Le caractère international de la révolution est clair depuis le début. Tous les pays de la région connaissent les mêmes problèmes que l’Egypte et la Tunisie : hausse des prix de la nourriture, régression sociale, chômage de masse et corruption généralisée. Des millions de gens luttent pour survivre. Et dans la société comme dans la nature, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce qui se passe en Egypte et en Tunisie peut se produire dans de nombreux pays, et pas seulement dans le monde arabe.

Les impérialistes se consolaient en répétant qu’il n’y a pas « d’effet domino ». Mais les dominos ont commencé à tomber : Libye, Maroc, Soudan, Irak, Djibouti, Yémen, Bahreïn, Oman et Syrie. Tous sont entrés dans le tourbillon révolutionnaire, à des degrés divers. D’autres suivront.

Dans le cas de l’Irak, la révolution est liée à la lutte contre l’impérialisme et l’occupation militaire étrangère, à quoi s’ajoute la lutte pour l’auto-détermination du peuple kurde. En même temps, le mouvement de révolte en Irak a balayé toutes les divisions sectaires entre Shiites et Sunnites, ou encore entre Kurdes, Turkmènes et Arabes – divisions qui renforçaient la domination de politiciens réactionnaires.

L’inflation est l’un des problèmes majeurs qui alimentent le mouvement révolutionnaire. Les gouvernements avaient supprimé ou diminué les subventions pour le pétrole et le sucre. Dans l’espoir de prévenir une explosion sociale, les gouvernements de Jordanie, d’Algérie et de Libye ont tous fait marche arrière, récemment, en réduisant les prix des aliments de base et les taxes sur la nourriture importée.

Même les monarchies pétrolières du Golfe sont inquiètes. Au Koweït, ils ont donné 4600 euros à tous les citoyens. Mais de telles mesures ne peuvent au mieux que reporter le soulèvement révolutionnaire, qui est inévitable.

Les médias occidentaux ont décrit le mouvement au Bahreïn comme une lutte religieuse entre la majorité sunnite et la minorité shiite. C’est un mensonge. Le peuple du Bahreïn se bat contre la corruption, pour des élections libres, contre les discriminations, pour les droits des immigrés et des femmes, contre le chômage et pour un partage plus juste des richesses. Partout, nous voyons le même courage des masses face à la répression. Et encore une fois, la classe ouvrière a joué un rôle décisif. En menaçant le régime d’une grève générale, les syndicats ont poussé le gouvernement du Bahreïn à faire des concessions.

Dans les Etats du Golfe, il y a une exploitation brutale des travailleurs, qui sont majoritairement des immigrés. 1,1 million de Pakistanais travaillent en Arabie Saoudite. C’est la même situation dans tous les pays du Golfe. Des grèves ont eu lieu, ces dernières années, dont les médias n’ont pas parlé. A Dubaï, par exemple, 8000 travailleurs du bâtiment ont fait grève.

L’Arabie Saoudite, ce bastion de la réaction au Moyen-Orient, ressemble à une cocotte minute sans soupape. Dans de tels régimes, lorsque l’explosion se produit, elle est soudaine et d’une extrême violence. La famille royale est corrompue, dégénérée et pourrie jusqu’à la moelle. Elle est divisée sur la question de la succession. La colère et la frustration de la population ne cessent de croître. Il est significatif que même le clergé wahhabite critique le régime. Lorsque la révolution commencera dans ce pays, les immenses réserves pétrolières du royaume ne sauveront pas la monarchie.

La révolution arabe a ravivé le mouvement révolutionnaire en Iran, où des officiers de la « Garde Révolutionnaire » ont déclaré qu’ils n’étaient pas disposés à tirer sur le peuple. Les divisions dans l’appareil d’Etat soulignent la profonde crise du régime.

Dans chacun des cas, il est difficile de dire quel type de régime émergera. Cela dépend de nombreux facteurs et diffèrera selon les pays. Les processus en Egypte et en Tunisie étaient pratiquement identiques. Mais en Libye, la situation était différente dès le début. Le régime bénéficiait d’une base plus solide, en particulier dans la région de Tripoli. L’insurrection s’est essentiellement limitée à l’est du pays et la révolution s’est rapidement transformée en une guerre civile.

Kadhafi est prêt à tout. Il n’a pas hésité à plonger le pays dans un conflit meurtrier. Il y a eu des défections massives, dans l’armée libyenne, y compris au sommet. Mais cela n’a pas eu le même effet qu’en Egypte et en Tunisie, du fait de la nature différente du régime et de l’armée.

Une chose est claire : toutes les cartes sont rebattues, dans la région. A terme, aucun de ces régimes ne survivra. Suivant le rapport de forces entre les classes et toute une série de facteurs internes et externes, différents scénarios sont possibles. Mais ce qui est certain, c’est qu’aucun de ces régimes ne pourra satisfaire les revendications fondamentales des masses.

L’impuissance de l’impérialisme

Les impérialistes sont très inquiets. Ils se demandent jusqu’où ces révolutions peuvent aller et s’étendre. Ils ne les avaient pas anticipées et ne savent pas comment réagir. Si Obama n’a pas publiquement appelé Moubarak à démissionner, c’est parce qu’il redoutait les effets que cela aurait eu sur les autres Etats de la région. Il a dû s’exprimer dans un langage très soigneusement codifié.

Le cynisme des gouvernements occidentaux est flagrant. Après avoir soutenu les dictatures en Egypte et en Tunisie, pendant des décennies, voilà qu’ils sont tous partisans de la « démocratie » et des « droits de l’homme ». Dans leur bouche, ces mots empestent l’hypocrisie. Sarkozy avait publiquement présenté Ben Ali comme un ami de la démocratie et des droits de l’homme à l’époque où ce dernier torturait ses opposants dans les prisons tunisiennes. Et Washington a couvert les actes barbares de toutes les dictatures pro-américaines. Les impérialistes en payent désormais le prix.

La politique affecte l’économie – et réciproquement. Les prix du pétrole ont grimpé, face aux craintes que la révolte se propage aux autres pays arabes, y compris l’Arabie Saoudite. Les « marchés » redoutent aussi que les livraisons d’hydrocarbures via le Canal de Suez soient affectées. Le prix du Brent a un moment dépassé les 120 dollars le baril. Cela menace la faible et fragile reprise de l’économie mondiale.

Pour des raisons économiques, politiques et militaires, les impérialistes ont besoin de stabilité au Moyen-Orient. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire ! Dès le début, les Américains se sont efforcés de trouver une réponse cohérente à des événements qui se développaient à un rythme quotidien. En réalité, la première puissance mondiale était réduite au rang d’observateur impuissant. Un article de The Independent avait pour titre :Les mots forts de Washington soulignent son impuissance. Cela résume bien la situation.

Des gens « avertis » pensent que la révolution arabe fait partie d’une conspiration impérialiste. Rien ne pourrait être plus éloigné de la réalité. Les capitalistes ont été pris par surprise. Ces révolutions ont complètement déstabilisé l’une des plus importantes régions à leurs yeux. Et leurs répercussions dépassent largement le monde arabe.

Le Moyen-Orient est une région clé pour les impérialistes. Les Américains ont passé quatre décennies à y construire leur position. L’Egypte en était un élément clé. Mais tout a été balayé en quelques semaines. Le pays le plus riche et le plus puissant au monde était complètement paralysé. Obama ne pouvait pas intervenir. Et il trouvait même difficile de dire quoi que ce soit sans offenser ses alliés saoudiens.

Environ 8 % du commerce mondial passe par le canal de Suez, et les Américains étaient terrifiés à l’idée qu’il pourrait être fermé. Mais ils ne pouvaient rien faire. Tout ce que pouvait dire Obama, c’est qu’on devait laisser les Egyptiens choisir. Ce n’est pas ce que disaient les Américains au sujet de l’Irak et de l’Afghanistan : ils n’ont pas réfléchi à deux fois avant d’envahir ces pays.

Dans les jours qui ont précédé la chute de Moubarak, des navires de guerre américains ont été stationnés près du canal de Suez. L’objectif était de rappeler la main de fer que couvre le gant de velours. Mais ce n’est pas allé plus loin. Les Etats-Unis se sont brûlés les doigts en Irak. Une nouvelle aventure militaire en Egypte aurait provoqué une tempête de protestations aux Etats-Unis et dans le monde entier. Pas une seule ambassade américaine ne serait restée debout, dans tout le Moyen-Orient. Tous les régimes arabes pro-américains auraient été menacés par la colère des masses.

Du fait de sa proximité géographique avec l’Arabie Saoudite et l’Iran, le Bahreïn est d’une grande importance stratégique pour les Etats-Unis. Ils y ont leur Cinquième Flotte et leur plus importante base navale de toute la région. Et pourtant, les Américains n’ont pas pu intervenir contre le mouvement révolutionnaire au Bahreïn. Si tout cela faisait partie d’un plan secret des impérialistes, personne n’en a prévenu Obama !

Dans le cas de la Libye, ils n’ont pas hésité à dénoncer Kadhafi et à appeler à son renversement – à la différence de leur attitude à l’égard de Moubarak. C’est un exemple de plus de leur duplicité et de leur cynisme. Et à présent, on a une agression impérialiste ouverte en Libye. Cela n’a rien à voir avec la protection du peuple libyen, sans parler de défendre la révolution. C’est tout le contraire. Leur objectif est de renforcer leur position dans la région pour étrangler les révolutions qui ont commencé.

Nous nous opposons à cette guerre impérialiste. La tâche de renverser Kadhafi appartient au peuple libyen. La vérité, c’est que l’impulsion révolutionnaire initiale a été détournée par les éléments contre-révolutionnaires du Conseil National de Transition, qui ont placé le sort du peuple libyen entre les mains des impérialistes.

Non à l’intervention étrangère !

Non à l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan !

Non au bombardement de la Libye !

A bas l’impérialisme !

Israël et les Palestiniens

C’est en Israël que la révolution arabe a provoqué la plus grande panique. La première force militaire de la région était tétanisée par ce qui se passait en Egypte. La clique dirigeante israélienne a dû faire très attention à ce qu’elle en disait. Benyamin Netanyahu a ordonné à ses ministres de ne pas en parler publiquement. Il a demandé aux Etats-Unis et à plusieurs pays européens d’atténuer leurs critiques à l’égard de Moubarak. Il a désespérément tenté de convaincre les alliés d’Israël qu’il était dans leur intérêt de soutenir Moubarak, de façon à garantir la stabilité du régime égyptien. Mais les Etats-Unis et l’Union Européenne craignaient qu’en s’accrochant au pouvoir, Moubarak radicalise toute la situation. D’où la formule d’une « transition ordonnée » – c’est-à-dire non révolutionnaire.

Marx soulignait qu’aucun peuple ne peut être libre tant qu’il maintient un autre peuple en servitude. Israël écrase une population palestinienne qui apprend, sur les écrans de télévision, comment on renverse des tyrans. En Cisjordanie, les Palestiniens sont soumis avec l’aide de la police de l’Autorité Palestinienne. Cependant, il n’est pas certain que la police palestinienne ou les forces de sécurité israéliennes soient en mesure d’écraser un mouvement de masse des Palestiniens.

La paix séparée signée par Israël et l’Egypte, en 1979, était une trahison de la cause palestinienne. Elle est très impopulaire dans le monde arabe. L’attitude du régime égyptien était un élément important dans la poursuite de l’occupation israélienne des territoires palestiniens conquis en 1967.

Les accords d’Oslo de 1993 étaient une nouvelle trahison. Les soi-disant territoires palestiniens ne sont qu’une nouvelle version des Bantoustans sud-africains. Aucune des revendications fondamentales des Palestiniens n’a été satisfaite. Les dirigeants Israéliens ont continué d’imposer leur loi. Et depuis les choses sont allées de mal en pis.

A présent, la chute de Moubarak, le plus puissant allié régional d’Israël, a bouleversé toute l’équation. Le gouvernement israélien a été ébranlé. La perspective d’une occupation indéfinie des territoires palestiniens est remise en cause. Du jour au lendemain, les plans soigneusement préparés par les impérialistes sont en ruines.

Des décennies de soi-disant « lutte armée » et de négociations n’ont mené nulle part. Mais le mouvement révolutionnaire en cours pose la question palestinienne sous un jour très différent. La clique dirigeante israélienne ne craint pas les roquettes du Hamas et les attentats suicide. Au contraire : chaque roquette qui tombe sur un village israélien renforce le soutien de l’opinion publique au gouvernement de Netanyahu. Mais une Intifada palestinienne, combinée à un mouvement révolutionnaire en Egypte et en Jordanie, serait une toute autre affaire.

Comme puissance militaire, Israël est peut-être invincible. Dans l’hypothèse d’une nouvelle guerre avec l’Egypte, Israël l’emporterait probablement. Mais pourrait-il vaincre un mouvement de masse en Cisjordanie, à Gaza et en Israël même ? Cette question doit troubler le sommeil des généraux et politiciens israéliens.

La chute de Moubarak a des implications très sérieuses pour Israël. Dans le meilleur des cas, ils devront encore augmenter les dépenses militaires, face aux risques de guerre au sud. Or, l’économie israélienne est déjà en crise. De nouvelles coupes budgétaires et contre-réformes provoqueront une intensification de la lutte des classes en Israël même.

Netannyahou imaginait que son pays était un îlot de stabilité et de démocratie qui ne pourrait pas être affecté par la révolution. Mais au fond, Israël n’est qu’un pays du Moyen-Orient menacé, lui aussi, par la vague révolutionnaire partie d’Egypte et de Tunisie. Il y a de nouvelles contradictions en Israël. L’augmentation des prix du pétrole et de l’eau fait d’Israël l’un des pays où le coût de la vie est le plus élevé au monde. La direction des syndicats israéliens (Histadrut) a évoqué la possibilité d’une grève générale.

Les événements en Egypte et en Tunisie auront de profondes conséquences pour les Palestiniens. Ces derniers ont été trahis par tous ceux en qui ils avaient fait confiance, à commencer par les régimes arabes prétendument « amis », et sans oublier leurs propres dirigeants. Wikileaks a récemment révélé la scandaleuse collusion entre Abbas et les dirigeants israéliens et américains. Cela aura un grand impact sur la psychologie des masses palestiniennes.

Pendant 40 ans, la direction de l’OLP a trahi la cause des Palestiniens. En Jordanie, les dirigeants de l’OLP auraient pu prendre le pouvoir en 1970. Toute l’histoire de la région aurait été différente. Mais la direction nationaliste et petite-bourgeoise de l’OPL refusa d’attaquer ses « frères arabes ». Le roi de Jordanie a alors mobilisé les Bédouins qui, avec l’aide de l’armée pakistanaise, ont massacré des milliers de Palestiniens. C’est un fait que davantage de Palestiniens ont été tués par leurs « frères arabes » que par l’armée israélienne.

Les mêmes Bédouins qui avaient été mobilisés contre les Palestiniens, en 1970, manifestent à présent contre le roi de Jordanie. D’anciens officiers préviennent que s’il ne fait pas de concessions, le roi connaîtra le même sort que Moubarak et Ben Ali. La monarchie hachémite ne tient que par un fil. Parti des régions bédouines, le mouvement a gagné Amman et les Palestiniens, qui constituent la majorité de la population de Jordanie.

Il est temps de réexaminer la tactique et la stratégie de la lutte des Palestiniens. Les révélations de Wikileaks confirment que les dirigeants palestiniens jouent le rôle d’agents des Israéliens. Les Palestiniens sont amers et en colère. Toutes les tentatives de mobilisations à la fois contre Abbas et le Hamas ont été brutalement réprimées. Même les manifestations en solidarité avec les révolutions égyptienne et tunisienne ont été interdites et réprimées – aussi bien par le Hamas que par l’Autorité Palestinienne.

Des milliers de jeunes palestiniens tentent de s’unir contre la direction actuelle du mouvement, contre l’occupation israélienne et pour l’unité de la lutte des Palestiniens. Depuis des décennies, les Palestiniens rêvaient d’une Intifada en Egypte. C’est désormais une réalité. Le renversement de régimes arabes réactionnaires porte un coup sérieux aux impérialismes israéliens et américains. Cela transforme toute la situation. Les Palestiniens peuvent voir qui sont leurs véritables alliés : les travailleurs et les paysans de tout le monde arabe.

C’est un tournant majeur. Les Palestiniens voient comment il faut lutter contre l’oppression : non pas avec des bombes et des roquettes, mais par une mobilisation révolutionnaire de masse. Il va y avoir de nouveaux mouvements contre les chefs du Hamas et du Fatah à Gaza et en Cisjordanie. La jeunesse fera pression. L’idée d’une nouvelle Intifada gagnera rapidement du terrain. Cela changerait tout.

Pour une fédération socialiste !

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les impérialistes ont créé des Etats-nations arabes artificiels. Ces divisions ne répondaient pas à des critères naturels ou historiques, mais uniquement aux intérêts de l’impérialisme. Les accords de Sykes-Picot ont partagé l’Irak, le Liban, la Syrie et la Jordanie entre la France et la Grande-Bretagne. Par la Déclaration de Balfour, en 1917, les Britanniques ont ouvert la voie à l’établissement d’un Etat juif en Palestine.

Dans le Golfe, l’impérialisme a constitué des petits Etats dans le but de les contrôler facilement et de garantir ainsi son accès aux énormes réserves de pétrole de la région. La monarchie saoudienne consistait en bandits du désert placés au pouvoir par l’agent britannique Wilson Cox. L’impérialisme a démembré le corps vivant de la grande nation arabe.

La révolution arabe ne l’emportera que si elle met un terme à la scandaleuse balkanisation du monde arabe. Le seul moyen de briser les chaînes forgées par l’impérialisme est d’inscrire sur notre bannière le mot d’ordre de Fédération Socialiste du monde arabe. Cela créerait une gigantesque entité économique s’étalant de l’Océan atlantique jusqu’à l’Euphrate.

Sur la base d’une économie nationalisée et planifiée, le chômage serait immédiatement éliminé. Le vaste réservoir de main d’œuvre inutilisée serait mobilisé pour résoudre les problèmes de logement, de santé, d’éducation et d’infrastructures. L’unification des énormes ressources de ces pays, sur la base d’un plan de production commun, mettrait à l’ordre du jour une nouvelle révolution culturelle, qui ferait de l’ombre à toutes les conquêtes passées.

Une Fédération Socialiste, avec complète autonomie des peuples, est la seule façon de résoudre les conflits nationaux et religieux qui ont empoisonné la vie des peuples pendant des décennies, menant à une guerre après l’autre. Les Musulmans et les Coptes, les Sunnites et les Shiites, les Palestiniens et les Juifs, les Arabes, Amazighs, Maronites, Kurdes, Turkmènes, Arméniens, Druzes – tous trouveraient leur place dans une Fédération reposant sur le principe d’égalité absolue.

Défendre le droit à l’auto-détermination du peuple palestinien et de toutes les nationalités opprimées !

A bas les agresseurs impérialistes et israéliens ! Non à l’occupation de l’Irak, de l’Afghanistan et de la Palestine !

Les collaborateurs, dehors ! Pour le renversement révolutionnaire de tous les régimes arabes complices de l’impérialisme !

Exproprier les biens des impérialistes et de leurs agents arabes ! Les richesses des Arabes doivent revenir au peuple arabe !

Pour l’unité révolutionnaire des peuples ! Pour une Fédération Socialiste du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, sur la base d’une union libre, égale et fraternelle, avec autonomie complète pour toutes les nationalités !

Bond en avant de la conscience

La révolution égyptienne est la réponse définitive à tous les sceptiques et snobs intellectuels qui se plaignent constamment du prétendu « faible niveau de conscience » des masses. Quant aux « experts » occidentaux qui parlaient avec mépris de la « passivité » et « l’apolitisme » des travailleurs égyptiens, ils peuvent ravaler leurs analyses.

Les marxistes comprennent qu’en général la conscience n’est pas progressiste ou révolutionnaire, mais profondément conservatrice. La résistance au changement est profondément enracinée dans l’esprit humain, et se rattache aux mécanismes de survie qui remontent aux origines de notre espèce. Ainsi, en règle générale, la conscience humaine est à la traîne des événements. Elle ne change pas de façon graduelle (aujourd’hui plus révolutionnaire qu’hier, demain plus qu’aujourd’hui, etc.), de même que l’eau qu’on refroidit de 100° à 0° ne passe pas par l’état de pâte, puis de gelée, avant de devenir solide.

Notre conception de la conscience humaine est matérialiste et dialectique – et non métaphysique et mécaniste. La dialectique nous apprend que les choses se transforment en leur contraire, et que de petits changements, apparemment insignifiants, peuvent à un certain stade – connu en physique sous le nom de « point critique » – produire des transformations explosives de très grande échelle. Les changements de la conscience interviennent soudainement, lorsque de grands événements la forcent à changer. Quand cela se produit, la conscience rattrape brusquement la réalité. Ce bon en avant de la conscience est précisément ce qui caractérise une révolution.

Que ce soit en Egypte, en Iran, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, les masses n’apprennent pas dans les livres, mais à travers leur propre expérience. Lors d’une révolution, elles apprennent beaucoup plus vite qu’habituellement. Les travailleurs et les jeunes d’Egypte ont davantage appris en quelques jours de lutte qu’en 30 ans de vie « normale ». Dans les rues, les masses acquièrent un sens de leur propre pouvoir. Elles se débarrassent de la peur paralysante de la police anti-émeute appuyée par des canons à eau et des milliers de bandits en civil – et elles les repoussent et les battent.

Dans une révolution, les masses apprennent très rapidement. On le voit bien en Egypte et en Tunisie. Ce sont de vastes laboratoires où toute une série de revendications sont en compétition et mises à l’épreuve. Dans la rue, les masses décident quels slogans sont appropriés ou non. Le même processus se répètera encore et encore – et non seulement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, mais partout.

Du Caire à Madison

En 1917, il a fallu environ une semaine pour que le peuple indien apprenne qu’une révolution avait éclaté en Russie. Aujourd’hui, tout le monde peut suivre les révolutions en direct sur des écrans de télévision. La situation au Moyen-Orient a d’énormes répercussions à travers le monde. En Inde, pour la première fois en 32 ans, les syndicats et partis de gauche ont organisé une grève générale pour de meilleurs salaires et contre l’inflation. 200 000 personnes ont manifesté à New Delhi. L’économie indienne se développe au rythme annuel de 9 %, mais cela renforce surtout les inégalités en concentrant les richesses au sommet de la société.

En Tunisie et en Egypte, le système capitaliste commence à se briser à son maillon le plus faible. Les « experts » bourgeois nous diront que cela ne peut pas se produire dans les pays capitalistes développés, que la situation y est différente, et ainsi de suite. Oui, la situation y est différente, mais seulement en degrés. Partout, la classe ouvrière et la jeunesse font face à la même alternative : soit ils acceptent la destruction systématique de leurs droits et conditions de vie – soit ils luttent.

L’argument selon lequel « cela ne peut pas se passer ici » n’a aucune base scientifique ou rationnelle. On entendait la même chose au sujet de la Tunisie il y a quelques mois à peine, lorsque ce pays était considéré comme le plus stable d’Afrique du Nord. Et ils ont même répété cette idée à propos de l’Egypte, juste après la chute de Ben Ali. Quelques semaines plus tard, Moubarak était renversé. Telle est la vitesse à laquelle se succèdent les événements, à notre époque. Tôt ou tard, la même question se posera dans tous les pays d’Europe, au Japon, au Canada – et aux Etats-Unis mêmes.

Les prix augmentent, et notamment ceux de la nourriture. Cela aura des conséquences très graves, en particulier dans les pays pauvres. D’après la Banque Mondiale, 44 millions de personnes seront jetées dans l’extrême pauvreté au cours de la période à venir. On passera alors la barre du milliard de personnes officiellement « très pauvres ». Des millions de personnes se battent pour se nourrir, se loger, avoir un emploi – autrement dit, pour accéder aux conditions fondamentales d’une existence semi-civilisée. En ce début de XXIe siècle, tout le monde devrait y avoir droit. Mais même en Europe et en Amérique du Nord, le système capitaliste pourrissant n’est plus capable de garantir ces droits.

Nous ne traversons pas une crise cyclique normale du capitalisme. La reprise elle-même n’est pas normale. Les capitalistes renforcent au maximum l’exploitation des travailleurs dans l’espoir de restaurer l’équilibre économique, de payer leurs dettes, de réduire le coût du travail, etc. Mais ce faisant, ils déstabilisent toute la situation. Cela explique en partie aussi bien la révolution arabe que le regain de la lutte des classes en Europe.

Tous les pays du monde ont été affectés. Ce n’est pas par hasard que le régime chinois s’est rallié au chœur qui réclamait l’« ordre » en Egypte. C’est en partie une question d’intérêt économique. La Chine a besoin de stabilité économique, à l’échelle mondiale, pour continuer d’exporter massivement. Mais surtout, Pékin redoute tout ce qui pourrait stimuler des grèves et des manifestations en Chine même. Le régime a banni toute référence à l’Egypte, sur Internet.

A l’inverse, tous les travailleurs conscients du monde se réjouiront du magnifique mouvement des travailleurs d’Egypte et de Tunisie. On ne doit pas en sous-estimer les effets psychologiques. Pour beaucoup, en particulier dans les pays capitalistes développés, l’idée de révolution pouvait sembler abstraite et lointaine. A présent, les événements qu’ils ont suivis en direct, sur leurs écrans de télévision, montrent qu’une révolution est non seulement possible, mais nécessaire.

En Europe et aux Etats-Unis, il y a une haine croissante à l’égard des banquiers et des hommes d’affaires qui se récompensent à coup d’énormes « bonus » pendant que le reste de la société subit contre-réforme sur contre-réforme. Cela s’est reflété dans les grands événements qui ont secoué l’Etat du Wisconsin, aux Etats-Unis. Les travailleurs de la ville de Madison chantaient : « lutter comme un Egyptien ! » C’est une conséquence des politiques de coupes drastiques imposées aux travailleurs américains, en pleine reprise économique.

Du jour au lendemain, le monde a appris que l’Etat du Wisconsin était le théâtre d’une explosion de la lutte des classes, avec 100 000 personnes dans les rues de Madison. Les manifestants brandissaient des pancartes contre le gouverneur Hosni Walker et criaient : « Le dictateur du Wisconsin doit partir ». Des travailleurs égyptiens ont même envoyé des messages de solidarité aux travailleurs du Wisconsin. Le Capitole de Madison a été occupé, et les policiers envoyés pour les évacuer ont rallié le peuple en brandissant des mots d’ordres tels que : « Policiers pour la classe ouvrière ». C’est un développement extrêmement important.

En Europe, nous avons assisté à de grands mouvements de la classe ouvrière et de la jeunesse : huit grèves générales en Grèce en l’espace d’un an ; le grand mouvement contre la casse des retraites en France ; le mouvement des étudiants britanniques ; une grève générale en Espagne ; le mouvement des travailleurs de la métallurgie en Italie. Récemment, au Portugal, il y a eu la plus grande grève générale depuis la chute de la dictature (1974). En Europe de l’Est également, il y a eu d’importants mouvements en Albanie et en Roumanie. En Bulgarie, même la police a fait grève.

Il y a 20 ans, la chute du « communisme » rendait la classe capitaliste euphorique. Mais c’était prématuré. Avec le recul, la chute du stalinisme sera comprise comme le prélude d’un développement encore plus titanesque : le renversement révolutionnaire du capitalisme. Partout, y compris aux Etats-Unis, le système est en crise. Partout, la classe dirigeante s’efforce de placer tout le poids de la crise de son système sur les épaules des couches les plus pauvres de la société.

Ce qui commence dans le monde arabe a des similitudes frappantes avec ce qui a mené au renversement des régimes staliniens d’Europe de l’Est. Sur le papier, ces gouvernements disposaient d’un puissant appareil d’Etat : armée, police, police secrète, etc. Mais cela ne les a pas sauvés. Et lorsque les travailleurs se mobiliseront pour changer la société, tout l’argent et toutes les forces répressives à la disposition des dirigeants d’Europe et des Etats-Unis ne les sauveront pas.

Les masses ont montré leur détermination à lutter. Pour être victorieuses, elles ont besoin d’un programme clair et d’une direction révolutionnaire. Les idées du marxisme sont les seules qui puissent les fournir. L’avenir est à nous.

Vive la révolution arabe !

Travailleurs de tous les pays, unissez-vous !

Vive le socialisme, seul espoir pour l’avenir de l’humanité !

Thawra hatta’l nasr !