Nous vivons une époque de crise du capitalisme. L’austérité est devenue le principal objectif des gouvernements autour du globe, qui nous disent constamment que « tout le monde doit faire sa part » et qu’ « il faut se serrer la ceinture ». Les grands médias privés nous inondent d’histoires d’étudiants et de travailleurs de la fonction publique avares et vivant aux dépens des payeurs de taxes, dans le cadre d’une guerre de propagande visant à s’assurer que le public donne son appui aux coupures massives dans les services publics.

Au Québec, la plus féroce opposition à cet agenda d’austérité est venue de l’énorme mouvement étudiant de 2012. Des centaines de milliers d’étudiants ont réussi à fermer les CÉGEP et universités pendant plusieurs mois. La jeunesse a pris la rue et a défié le gouvernement, malgré les lois et règlements anti-démocratiques, les amendes et les injonctions utilisés pour tenter de les arrêter.

 

Malgré le fait que le Parti Québécois ait gagné les élections de 2012 sur la promesse d’abolir les politiques libérales les plus honnies, le nouveau gouvernement du PQ a rapidement fait demi-tour et s’est engagé à poursuivre le programme d’austérité du gouvernement Charest. Toutes les discussions entourant d’éventuelles réformes ont été abandonnées dès que ces respectables politiciens se sont attelés à la tâche de gérer un État bourgeois endetté.

 

L’automne dernier, l’ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante) a lancé sa campagne anti-austérité pour la nouvelle année scolaire. L’association étudiante radicale, qui avait mené le mouvement étudiant de 2012, a organisé au début novembre une discussion intitulée « Fight the Neoliberal Assault with ASSÉ » (« Combattre l’offensive néolibérale avec l’ASSÉ ») pour promouvoir cette campagne. Cette tournée avait pour but de bâtir une vaste coalition à travers le Canada pour lutter contre les mesures d’austérité.

 

Cette campagne vise juste en s’attaquant au plan de « déficit zéro » du PQ et réussi très bien à démontrer les conséquences négatives des mesures d’austérité. Le site internet de la campagne, www.austerite.org, souligne six domaines particulièrement affectés par l’austérité : l’éducation, l’environnement, le travail, les femmes, les services sociaux et la culture. Par exemple, les frais de scolarité post-secondaire ont grimpé de 3,4% au dernier semestre, alors que les salaires des professeurs auront diminué de 5%. Les tarifs d’hydro ont augmenté de 22,2%, et les émissions de carbone de 24%, Les primes d’assurance-emploi ont subi des coupures de 7%. Parallèlement, la CBC a supprimé 650 postes, l’ONF a vu 10% de son budget éliminé, et Environnement Canada a fermé 776 postes. Par-dessus cela, le gouvernement du Québec a instauré une taxe de 200$ sur les services de santé.

 

 

Toutefois, cette campagne anti-austérité s’égare lorsqu’elle affirme que l’austérité est simplement « une mauvaise idée », plutôt que de l’identifier comme un élément essentiel du système capitaliste lui-même et de l’état de faillite auquel il en est arrivé.

 

La documentation de l’ASSÉ affirme que la poussée vers l’austérité a débuté après la crise financière de 2008, sur la base d’une étude de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff qui contenait une erreur de calcul. Cette étude montrait que de hauts niveaux d’endettement étaient associés à une croissance économique lente, et soutenait les arguments avancés par les organisations capitalistes internationales comme l’OMF et le FMI. Toutefois, cette documentation affirme qu’une fois cette erreur corrigée dans l’étude, la corrélation entre dette élevée et croissance économique lente était devenue insignifiante.

 

L’ASSÉ nous dit que « le Québec n’est pas assez endetté pour justifier des mesures d’austérité, qui de toute façon s’avèrent inefficaces. » Cette affirmation sous-entend que, fondamentalement, il n’y a pas de crise économique, que « tout est beau » au Québec, et que l’austérité vient simplement d’une mauvaise idée. Toutefois, la situation économique au Québec (et dans le reste du Canada) ne correspond pas à cette perspective. Dans la majeure partie du pays, l’économie est stagnante ; la pénurie d’emplois au centre du Canada atteint un niveau critique ; la classe capitaliste a peu d’incitatifs à investir son argent dans une économie en détresse.

 

Les capitalistes ont déjà clairement laissé savoir que le remboursement de la dette du gouvernement du Québec n’allait pas assez vite à leur goût. En décembre dernier, l’agence de notation Fitch a descendu la cote de crédit du Québec de « stable » à « négatif » après que le PQ ait fait l’annonce qu’il reportait son plan de déficit zéro à 2016. Selon Fitch, « ce sursis se base sur des performances plus lentes en terme de croissance et de revenus depuis que le budget fiscal 2014 a été déposé, et sur les prévisions à la baisse qui en découlent. » Une diminution de la cote de crédit de la province signifierait que le gouvernement aurait à emprunter à des taux d’intérêts plus élevés afin d’attirer des prêteurs et des investisseurs.

 

S’opposant aux brutales mesures d’austérités adoptées dans presque tous les pays capitalistes, l’ASSÉ affirme que le fardeau de payer pour la crise devrait être assumé par les corporations par le biais d’une plus grande imposition. Lors de son allocution à l’Université Concordia, Benjamin Gingras, porte-parole de l’ASSÉ, affirmait que « Nous n’avons pas à nous appauvrir pour sortir de l’endettement. Les compagnies ne paient pas assez d’impôt. »

 

La documentation de l’ASSÉ montre clairement le changement radical dans les niveaux d’imposition étant survenu pendant les dernières décennies. En 1961, les compagnies contribuaient à 61% aux impôts levés dans la province, les 39% restant provenant des particuliers. En 2012, ce ratio s’est renversé, avec 25% seulement des revenus d’imposition provenant des compagnies, alors que les particuliers y contribuaient à raison de 75%. L’ASSÉ y voit une des causes de l’endettement et des mesures d’austérité.

 

Nous partageons entièrement l’opinion de l’ASSÉ quant au fait que le fardeau de la crise actuelle ne devrait pas être placé sur les épaules des travailleurs et des étudiants. Toutefois, les mesures d’austérité constituent-elles simplement une construction idéologique, où sont-elles plutôt nécessaires pour la survie du capitalisme ? Plus important, y-a-t-il moyen de combattre l’austérité quand l’économie reste possédée par des intérêts privés ?

 

Il ne suffit pas de proposer de revenir aux politiques des années soixante. La société n’existe pas dans un vase clos : les années 1961 et 2014 diffèrent grandement. À l’époque, les capitalistes du Québec pouvaient se permettre d’accorder des réformes aux travailleurs, en s’appuyant sur le boom massif et sans précédent vécu par le système économique pendant l’après-guerre. En réponse aux vastes luttes des années 1960, les patrons du Québec ont eu les moyens de développer l’État-providence afin de s’acheter une période de « paix de classes ». Toutefois, la situation est complètement différente aujourd’hui. La période de croissance économique a pris fin. Aucune éventualité de bourgeonnement de l’économie n’est envisagée ; en fait, la principale angoisse reste de savoir quel sera le prochain pays à tomber en récession. Même cinq ans après le début de la « Grande récession » les banquiers et patrons n’en voient pas encore la fin. La Banque du Canada a encore été forcée de revoir ses prévisions à la baisse, prévoyant une croissance de seulement 2% pour 2014. Les capitalistes autour du monde possèdent un niveau historiquement élevé d’argent mort, effrayés de perdre leurs investissements.

 

Dans un tel climat économique, les patrons n’ont absolument pas l’intention de payer plus d’impôts et sont prêts à tout faire y échapper. Lors des élections françaises de 2012, François Hollande du Parti Socialiste a été élu sur la promesse d’augmenter significativement les impôts des compagnies et des individus les plus riches de France. Il en est résulté une fuite de capitaux de 54 milliards pendant une période de deux mois suivant la mise en œuvre de la promesse, ce qui a forcé la Cour Suprême à intervenir et à annuler la hausse d’impôts. Suite à cet échec cuisant, Hollande s’est mis à couper dans les dépenses gouvernementales, et est maintenant le président français le plus impopulaire depuis que les sondages de popularité existent. En ce qui concerne le Québec, nous devons nous souvenir que suite à l’élection du PQ en septembre 2012, le Conseil du Patronat a averti Pauline Marois que les chefs d’entreprise allaient retirer leurs investissements du Québec si jamais elle ne prenait pas en compte leurs intérêts.

 

Bien que la campagne de l’ASSÉ soit une bouffée d’air frais quant à beaucoup d’aspects, et cherche visiblement à unir les intérêts des travailleurs et des étudiants en un but commun, elle échoue malheureusement à saisir la nature de l’austérité et la nécessité de progresser au-delà du capitalisme. L’ASSÉ a beau souvent utiliser un vocabulaire révolutionnaire et anticapitaliste, leurs propositions restent ancrées dans un cadre capitaliste et dans la loi du marché. En fait, elles ressemblent fortement à celles mises de l’avant par l’ancien Premier ministre Jacques Parizeau et certaines factions du PQ par le passé !

 

Il ne suffit pas d’ajuster certains paramètres du système par une réforme du régime fiscal. On oublie ainsi le problème fondamental, qui est que la crise en est une du système capitaliste lui-même. Tous les gouvernements, peu importe l’idéologie du parti au pouvoir, se sentent obligés de placer le fardeau de la crise sur les épaules des jeunes et des travailleurs. La crise du système signifie que les capitalistes n’ont plus les moyens d’accorder des réformes pour améliorer la qualité de vie des travailleurs tout en maintenant leurs profits. Pire encore, ils n’ont plus les moyens de maintenir les réformes obtenues lors des luttes des cinquante dernières années. Voilà la vraie raison des mesures d’austérité.

 

 

Sous le capitalisme, les dettes ont à être remboursées : le créancier l’exige. En cas de défaut, la cote de crédit du débiteur est abaissée, ce qui fait monter ses taux d’intérêts ; la dette pèse encore plus lourdement dans le budget du gouvernement débiteur.

 

Cela signifie-t-il que nous devrions nous opposer à une plus grande imposition des capitalistes ? Pas du tout ! Toutefois, la question de la fiscalité ne peut être abordée de manière isolée, sans prendre en compte qui possède et contrôle les principaux leviers de l’économie. Il faut être prêts à exproprier et nationaliser lorsque les chefs d’entreprise refusent d’investir ou menacent de délocaliser la production. La nationalisation des principaux leviers de l’économie sous un contrôle démocratique permettrait aux travailleurs et à la jeunesse d’avoir directement leur mot à dire sur la manière dont se gèrent les investissements. Cela nous permettrait d’arrêter la fuite de capitaux et de gérer l’économie de façon à non seulement mettre un frein à l’austérité, mais aussi à mettre en place des réformes telles que la gratuité scolaire afin de répondre aux besoins de la population.

 

L’ASSÉ a raison lorsqu’elle dit que la richesse qui permettrait de financer la gratuité scolaire et d’autres réformes existe, mais se trouve dans les poches des multinationales. Cette richesse doit être mise entre les mains des travailleurs, des étudiants, des jeunes du Québec et du reste du Canada. Il n’y a pas de solution qui peut à la fois répondre aux attentes des travailleurs et des jeunes et protéger la propriété et les profits des 1% les plus riches. Les jeunes d’aujourd’hui sont à la recherche d’une solution radicale aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Cela signifie s’attaquer à la racine du problème, prendre l’économie entre nos propres mains, et la mettre au service des masses et non des profits d’une petite clique. Voilà la perspective socialiste sur le mouvement anti-austérité.